Cet article est republié à partir de The Conversation France

Pour faire face à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, l’État a rapidement adopté plusieurs mesures d’aide aux entreprises, parmi lesquelles figure notamment le PGE (prêt garanti par l’État). Ce dispositif concerne d’une part, les entreprises de toute taille et, d’autre part, celles en difficulté qui ne faisaient pas l’objet de liquidation judiciaire (ou de rétablissement personnel) ou de procédure de sauvegarde (sauf si le plan de sauvegarde a été arrêté par un tribunal avant l’octroi du prêt).

Face à la durée de la crise, le gouvernement a annoncé en janvier dernier que, quelle que soit leur activité ou leur taille, les entreprises auront droit à une année supplémentaire pour le remboursement. À ce jour, ce sont 659 000 entreprises (dont 90 % de très petites entreprises (TPE)) qui en ont bénéficié et on estime que 134 milliards d’euros de PGE ont été accordés par les banques, selon les données publiées par France Stratégie.

Retour sur une autre mesure de crise

Quelques années plus tôt, le gouvernement de Jean‑Marc Ayrault avait mis en place le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Ce dispositif, conçu en 2012 dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, est entré en vigueur en 2013 jusqu’en 2019, lorsque le dispositif a été pérennisé sous la forme d’une baisse des charges. Il concernait les entreprises soumises à un régime réel d’imposition et employant des salariés.

À raison de 20 milliards par an, 100 milliards ont été alloués aux entreprises au travers de ce dispositif. S’il a été critiqué dès 2015 car se révélant relativement inefficace pour lutter contre le chômage, il poursuivait fondamentalement un autre objectif, à savoir l’amélioration de la compétitivité prix de l’industrie face à la concurrence étrangère et la reconstitution des marges des PME au sortir de la crise de 2008. Il a bénéficié à 6 millions d’entreprises et dans une très grande majorité aux TPE même si plus de la moitié du CICE a été capté par les entreprises de plus de 250 salariés.

Pourquoi cette comparaison et que tirer de ce constat ? Dans les deux cas, il s’agit de mesures étatiques pour favoriser les entreprises, sans distinction d’activités, de taille ou de résultats, à la suite de crises de nature différente (bancaire en 2008 et sanitaire en 2019). Le CICE a ainsi bénéficié à des entreprises peu exposées à la concurrence internationale, par exemple des enseignes de distributeur, ou encore le groupe La Poste. Dans le cadre du PGE, il concerne aussi bien des entreprises performantes que des organisations déjà fragilisées avant que la crise ne survienne.

Ainsi, on peut noter que le PGE n’a pas empêché les faillites. Les enseignes de textile-habillement Camaïeu, Célio, Naf Naf ont connu des plans de sauvegarde ; La Halle le redressement judiciaire ; et le distributeur de meubles Alinéa, ou encore les chaînes de restauration Courtepaille ou Flunch la liquidation.

Cela conduit à interroger les choix réalisés par l’État. En ne discriminant pas les entreprises, les pouvoirs publics ont sans doute commis des erreurs et l’efficacité des mesures aurait sans doute gagner à prendre en compte les dynamiques de la faillite, largement documentées dans les travaux académiques.

Un remède pire que le mal

Toute entreprise évoluant vers la faillite passe en effet par plusieurs étapes, qui constituent des points d’inflexion sur lesquels il faut intervenir pour redresser la situation face aux difficultés : l’existence de déséquilibres ; la dégradation des éléments organisationnels qui s’exprime dans les indicateurs financiers ; des problèmes de liquidité ; l’apparition de la méfiance des prêteurs et enfin la faillite.

À partir de là, il aurait été judicieux pour l’État de conditionner son soutien à des entreprises dont les fondamentaux ne faisaient pas ressortir un déclin tant de son activité que de ses marges.

En aidant de façon uniforme, l’État a sans doute donné un remède pire que le mal. Il a engagé des ressources qui seront difficiles à rembourser et qui ne relanceront pas forcément l’entreprise.

En effet, les crises ne touchent pas les firmes de façon identique. Dans la littérature, on parle de "slack". Le "slack", c’est ce surplus de ressources qui permet de faire face à des situations imprévues. Ce sont des réserves (du "mou" diront certains) qui permet de surmonter des difficultés. Or, avant la Covid-19, bon nombre d’entreprises étaient déjà dans des situations critiques.

En considérant l’entreprise à l’aune de plusieurs dimensions (liquidité, cycle d’exploitation, profitabilité, solvabilité et structure financière, capacité à lever des fonds), la recherche distingue 5 profils financiers :

  • Le premier profil est représenté par des firmes ayant connu des difficultés temporaires mais qui ont réussi à retrouver une bonne santé financière. Néanmoins au sein de ce groupe certaines entreprises font face à des problèmes de liquidité et de solvabilité qui les amènent à faire faillite.
  • Le deuxième profil est constitué par des entreprises dont les performances sont trop faibles pour faire face au remboursement de la dette.
  • Le troisième profil est caractérisé par des firmes initialement en difficulté mais qui réussissent temporairement à les surmonter, néanmoins elles ne sont pas capables de poursuivre leur redressement et font faillite en raison d’une faible performance et d’une situation financière fragile, d’autant plus qu’elles n’arrivent pas à lever des fonds auprès de leurs actionnaires.
  • Le quatrième profil est identique au troisième avec des entreprises ayant en plus des problèmes de liquidité et de forts problèmes de refinancement à court terme.
  • Le cinquième profil se caractérise par des entreprises qui présentent plusieurs faiblesses : faible profitabilité, faible liquidité, structure financière déséquilibrée avec un recours très important à la dette de court terme.

Ces profils constituent des éléments essentiels à la compréhension des dynamiques de faillite.

Toutefois, le point central tient dans le fait que les firmes ont des fragilités et qu’un choc externe tel que celui de la Covid-19 ne les touche pas de façon identique. En conséquence, on peut supposer que le PGE n’a servi qu’à retarder la faillite pour les entreprises les plus en difficultés caractérisées par les profils 4 et 5 selon la nomenclature expliquée précédemment.

Une allocation des ressources non optimale

Quelle conclusion tirer de tout cela ? Si on ne peut contester l’effort de l’État à aider les entreprises à surmonter cette crise imprévisible, il faut garder à l’esprit que la situation actuelle fait ressortir des inefficiences. En effet, des entreprises avant la crise étaient sans doute dans la phase terminale et l’aide de l’État n’a fait que geler une situation qui, in fine, se terminera peu ou prou, par une faillite.

L’allocation des ressources n’a donc pas été optimale d’autant plus que les ressources réservées à ces entreprises ont pu manquer à d’autres, plus performantes, qui auraient eu besoin d’un soutien plus massif afin de préserver leurs fondamentaux qui étaient sains. Il est certain que cela jouera à terme sur la productivité.

On peut toutefois arguer que, grâce à ces mesures, on a évité un effet domino, la perte d’un client pouvant conduire à la faillite d’un fournisseur, lui-même client d’un autre fournisseur qui subira ainsi par ricochet les conséquences. Or, une fois la "pompe à oxygène" débranchée, l’effet domino risque de réapparaître, mais sur des entités (tout au long de la chaîne) encore plus fragilisées qu’avant la crise et donc encore moins capable de pouvoir "casse" cette spirale.

Le pire n’est jamais certain mais il est à craindre que cette crise n’ait pas encore révélé tous ses effets. S’il faut aider les entreprises à vivre, il faut aussi les laisser mourir !The Conversation

Eric Séverin, Professeur des Universités Finance - Comptabilité, Université de Lille