Vous avez présenté la deuxième promotion du programme FT Green 20, à VivaTech. Quelle est l’ambition de ce dispositif, et pourquoi avez-vous choisi de faire l’annonce lors du salon ? 

Clara Chappaz : Le gouvernement a lancé le programme French Tech Green 20 (FT Green 20) il y a un an, en partant du postulat que la transition écologique a besoin des startups. Nous sommes face à un enjeu extrêmement urgent, qui nous demande à la fois de changer nos modes de vie et de trouver de nouvelles technologies pour nous aider. La GreenTech représente ces deux aspects avec des startups comme Back Market, qui propose de l’électronique d’occasion, et des sociétés qui développent des innovations de rupture à grande échelle.

Le FT Green 20 est un focus sur 20 startups de cette seconde catégorie, et vise à leur donner de la visibilité. Il s'agit d'un secteur qui possède un énorme potentiel de développement, avec la multiplication de partenariats entre le monde de la recherche et les entrepreneurs. Kayrros - qui propose une solution de détection de méthane à 15 mètres - travaille main dans la main avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui l’a aidé le dépôt de brevets. Seize ingénieurs du centre de recherche sont également déployés à temps plein chez Kayrros pour approfondir les modèles data.

Le secteur reste naissant et, si nous faisons bien notre travail, dans 5 ou 10 ans, une grande partie du FT120 sera composée de ces startups. Elles représentent aujourd'hui environ 10 % de ce dernier. C’est un début, mais elles peuvent prendre une plus grande place. Certains indicateurs sont encourageants : la première promotion du FT Green 20 a levé pour 500 millions d’euros et 4 d’entre elles ont effectué une IPO, dont la nantaise Lhyfe, qui est entrée sur Euronext Tech Leaders quelques semaines plus tard.

C’est un secteur qui se développe, mais qui fait face à de nombreux défis, en matière de financement et d’industrialisation. Quels leviers sont déployés pour les soutenir ? 

C.C. : De nombreuses GreenTech sont des startups industrielles, ce qui veut dire qu’elles doivent trouver du foncier, réussir à lever des fonds sur des projets qui vont mettre plusieurs années à se lancer. Elles font face à des défis qui ne sont pas les mêmes que ceux des entreprises du numérique.

On observe un véritable investissement financier de la part de l’Etat, qui consacre la moitié du plan France 2030 à la transition écologique et 50 % aux acteurs émergents. Si on couple ces deux axes, on voit que les startups innovantes pourront en bénéficier. En janvier 2022, avec Cédric O et Agnès Pannier Runacher, nous avons également annoncé un plan de financement pour les startups industrielles, qui vise notamment à soutenir la construction de leurs premières usines.

Le soutien ne se limite pas au financement. Nous aidons aussi ces sociétés à conserver leur agilité, quand il s’agit de trouver un site industriel et de le mettre aux normes via le dispositif Site Clé en main. Celui-ci permet de proposer aux entrepreneurs un catalogue d’anciens sites industriels ayant été remis à niveau (enjeux de régulation, etc.), afin qu’ils puissent rapidement débuter la construction. Pour accompagner ces startups industrielles, nous avons aussi lancé un guichet unique en début d’année. Plus d’une centaine de startups l’ont déjà contacté, bien plus que ce que nous imaginions, ce qui prouve une véritable appétence et un besoin des entrepreneurs pour ce type de dispositif. 

Lors de son allocution à VivaTech, le ministre Bruno Le Maire a souligné l’importance de la souveraineté industrielle et économique de la France, particulièrement pour ces GreenTech. Comment peut-on les protéger d’un rachat par une société étrangère ?

C.C. : Nous avons augmenté l’attractivité de la France, au cours des dernières années. Aujourd'hui, 60 % des investissements proviennent de fonds étrangers, alors qu’il y a quelques années, c’était l’inverse. Il ne faut pas être mal à l’aise par rapport à ça. Mais ce n’est pas le seul moyen de se financer et il faut trouver d’autres manières de le faire de façon plus autonome, notamment dans le contexte actuel.

A l’avenir, les investisseurs étrangers vont peut-être devenir plus prudents, car les fonds américains, par exemple, sont plus exposés que les fonds européens au marché public. La stratégie réaffirmée par Bruno Le Maire est de renforcer la capacité de se financer au niveau européen et d’avoir ce fonds de fonds à l’échelle européenne annoncé en février 2022 et doté d’un financement initial de 3,5 milliards d’euros et dont l’ambition est d’atteindre les 10 milliards d’euros. On suit la même logique que pour l’initiative Tibi.

Malgré les derniers beaux tours de table annoncés, on observe une stagnation des financements dans l’écosystème French Tech. Les startups doivent-elles se préparer à avoir moins de liquidité ?

C.C. : Il faut être prudent, mais pas alarmiste. La France s’en sort bien. Nous venons de passer la barre des 8 milliards d’euros levés depuis le début de l’année contre 5 milliards d’euros sur la totalité de l’année 2020. Les très belles entreprises vont continuer à se faire financer, mais il ne faut pas être insouciant. On est dans un écosystème qui a changé, rapidement.

Les montants des levées et les valorisations ne seront peut-être pas les mêmes, mais les entrepreneurs du Next40 sont très sensibilisés à la situation et déjà dans l’action. Ils ont déjà vécu - en quelque sorte - ce genre de période incertaine avec le Covid et ils font preuve d’une grande flexibilité. On est dans une période où la priorité est la profitabilité et les sociétés cherchent des actions à mettre en œuvre pour ne pas être dans une situation de dépendance par rapport au financement.

Cette période est peut être l’occasion pour des startups de saisir l’opportunité de se développer via des acquisitions. On voit de plus en plus de sociétés se positionner rapidement sur ce type d’opérations : Ÿnsect, Vestiaire Collective ou Doctolib en ont déjà réalisé. De manière générale, notre écosystème n’est plus le même que celui du début des années 2000. Il a beaucoup grandi, s’est structuré et possède les moyens de faire preuve d’agilité face aux changements.

Bruno Le Maire a débuté son intervention en évoquant du manque de parité dans la tech. Malgré les initiatives déjà mises en place, les résultats restent bien en-deçà de ce qu’il faudrait. Doit-on commencer à imposer des normes, pour que les choses évoluent enfin ?

C.C. : Il y a eu une vraie prise de conscience des acteurs du Next40 sur le fait qu’ils ne faisaient pas mieux que les entreprises traditionnelles sur ces enjeux. Je constate une réelle envie des entrepreneurs de s’emparer du sujet. Au cours des derniers nous avons rassemblé le management du Next40 pour réfléchir aux enjeux autour de la parité. Nous avons les mêmes concernant la diversité. L’idée était de faire en sorte que ces sociétés partagent les actions qu’elles mettent en œuvre dans leur structure.

Nous avons rassemblé ces mesures et nous avons sélectionné cinq engagements - intégré dans notre pacte parité annoncé il y a un mois - qui essaient de toucher l’essence du problème : représentativité dans les boards, formation sur les biais inconscients, recrutement, congés maternité... Nous ne voulions pas se limiter à faire de grandes déclarations, mais proposer des choses très concrètes. Aujourd’hui, nous avons 140 signataires - contre 69 au lancement. Ceux-ci ont nommé un sponsor pour chaque engagement, qui ne travaille pas forcément dans les fonctions RH. C’est important, car il faut que l’ensemble de l’entreprise soutienne cette dynamique. C’est en mettant en place des choses de manière volontaire que l’on avancera plus rapidement sur ces sujets. C’est le début d’un travail qui a vocation à se poursuivre.

Il y a une semaine Euronext a lancé l'indice Euronext Tech Leaders. En quoi est-ce intéressant pour les startups ?

C.C. : Euronext a lancé un programme d’accompagnement pour aider les entrepreneurs qui préparent une entrée en Bourse, Bourse Tech Share. Nous avons aussi organisé un petit déjeuner entre Believe, OVH et d’autres entrepreneurs pour qu’ils partagent leur expérience. Tech Leaders est l’étape d’après, avec la création d’un segment plus identifiable qui permettra aux startups de faciliter leur financement. A cette occasion, la Caisse des Dépôts et Bpifrance ont annoncé investir 800 millions d’euros pour aider les startups à se coter en Bourse.

Quelle est la feuille de route de la French Tech pour les mois à venir ?

C.C. : L’ambition n’a pas changé depuis ma prise de poste, il y a six mois. Nous devons continuer à soutenir nos licornes pour en faire des géants. Il y a donc un gros enjeu autour de ce changement d’échelle à venir pour ces scalueps. Il y a aussi un gros travail à faire avec les GreenTech. Comme le disait Bruno Le Maire, le développement des GreenTech est aussi actif en Europe qu’aux Etats-Unis ou en Asie. L'écosystème européen débute, mais nous avons le potentiel d’aller plus loin. En France, nous sommes particulièrement bien positionnés, mais l'on reste quatrième de l'écosystème européen et, comme le dit Bruno Le Maire, "4e n’est pas français".

La parité et la diversité sont aussi des enjeux majeurs. La diversité n’est pas de l’altruisme, mais aussi une question de performance. L’écosystème grandit et, si l’on ne regarde qu’une partie des talents disponibles, on se coupe d’une énorme partie d’entre eux. Il y a un grand enjeu de formation et une grande partie des capitales et des communautés French Tech sont déjà très engagées.