19 janvier 2023
19 janvier 2023
Temps de lecture : 4 minutes
4 min
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App’Elles : un deuxième prix au CES pour une application française utilisée jusqu’au Chili

En 2019, Diariata N'Diaye avait les honneurs du CES de Las Vegas avec son application App’Elles, lauréate d’un Innovation Award. Quatre ans plus tard, bis repetita : cette application destinée à lutter contre les violences faites aux femmes a été à nouveau distinguée, dans la catégorie “Software & Mobile Apps”. Rencontre sans langue de bois avec cette entrepreneure issue du monde associatif, qui ne rentre dans aucune case.
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Pouvez-vous nous rappeler le principe d’App’Elles ?

App-Elles est une application qui permet à une victime d'alerter rapidement ses proches en cas de besoin et de contacter les services de secours, les associations et toutes les aides disponibles. Les institutions en charge des politiques publiques peuvent l’utiliser de deux manières : d’abord en prenant la main sur les contenus au sein de l’application, afin de diffuser des informations pertinentes dans leur zone géographique, puis en faisant en sorte que les alertes émises au sein de leur territoire soient orientées vers les services d’urgence locaux.

Par exemple, dans le cas d’une université, toutes les alertes émises sur le territoire du campus peuvent être redirigées vers le poste de sécurité, ce qui permet une meilleure réactivité. De même dans les transports ou sur un festival, par exemple. Notre modèle est de nous faire rémunérer pour l’accès à l'outil de gestion des alertes. Ce que j'aime dans ce projet, c'est que tout en restant sur la thématique de la protection des femmes victimes de violence dans l'espace privé ou public, nous pouvons orienter la technologie dans plein de directions.

Justement, qu’est-ce qui a changé pour App’Elles depuis son premier prix au CES, en 2019 ?

Depuis 2019, nous avons notamment lancé la fonction de redirection des alertes - c’est ce service qui a été primé au CES cette année. L’application est maintenant utilisée dans 13 pays, jusqu’au Chili, notre troisième pays en nombre d’utilisations ! D’ailleurs au CES, j’ai rencontré une délégation chilienne qui connaissait notre projet, mais n’avaient jamais entendu parler de nous. Là-bas, les pouvoirs publics ont même fait une grande campagne de communication avec des actrices très connues pour promouvoir le service. D’ailleurs, la première expérimentation des services de redirection n’a pas été faite en France, mais au Chili, à distance, pendant le confinement. Ce qui est fou, c’est que tout cela a commencé par une interview par un média chilien au CES en 2019.

Pendant ce temps, en France, nous avons toujours autant de difficultés à expliquer ce que nous faisons à nos interlocuteurs ! Les ONG, les collectivités locales et les décideurs ont encore du mal à comprendre ce que nous apportons. Leur faire comprendre l’intérêt de notre technologie prend du temps. A l’inverse, aux États-Unis, dès le premier rendez-vous, ils commencent tout de suite à voir le potentiel. Ils ont beaucoup moins peur de la technologie ! Parfois je me demande si je n’ai pas choisi le pays le plus difficile pour développer une technologie au service des victimes de violences…

J’ai aussi retenu une leçon du CES : en France, on doit être dans la précision et le détail pour convaincre, alors qu’aux États-Unis, tu vas à l'essentiel. Mais c'est presque perturbant de se dire qu'ils n’ont besoin que de ce niveau d'information.

Comment expliquer ce décalage entre la France et d’autres pays ?

En France, nous sommes en retard en termes de digitalisation. Et il y a une méconnaissance des pouvoirs publics envers la technologie. Les gens ne sont pas prêts à payer le prix. Pourtant il faut avoir conscience que les salaires dans la tech n'ont rien à voir avec ceux du monde associatif ! Or il est très cher de maintenir un service dans le temps. Pour ces raisons, nos financements viennent plutôt de fondations privées que des fonds publics (qui représentent seulement 12 % de notre budget annuel). Dans le secteur privé, ils comprennent la tech et voient l’impact, même s’ils partent de plus loin sur le sujet des violences.

Quelles sont les prochaines étapes pour App’Elles ?

Pour mener ce projet jusqu'au bout, nous allons nous tourner vers l'entrepreneuriat, parce qu’en tant qu’association, nous n’avons pas accès à de nombreuses aides. Par exemple, les dispositifs de soutien à la R&D sont fermés aux associations. Business France et Bpifrance ont des aides pour les entreprises, mais pas pour les associations. La région Pays de la Loire accompagne les entreprises à l’export, mais pas les associations, etc. Aujourd’hui nous ne rentrons pas dans les cases et notre statut d’association nous empêche d’avancer. Donc pour être autonomes, nous allons créer une entreprise autour de l’application, dont tous les bénéfices reviendront à Résonantes, l’association dont le projet est issu.