C’est l’histoire de six amis qui se sont rencontrés pendant leurs années de lycée ou d’université. Ils montent ensemble une entreprise qu’ils nomment PriceMatch qu’ils revendront trois ans et demi plus tard à Booking.com. Les six cofondateurs honorent leur contrat avec ce géant de la réservation puisqu’ils vont passer les trois années suivant le rachat à Amsterdam, pour assurer la bonne intégration de leur produit.

Ils quittent ensemble Booking.com avant de s’accorder une année de vacances. Au moment de réfléchir à la suite de leur carrière, ils décident de relancer une nouvelle aventure tous ensemble : " On s’est dit que c’était maintenant ou jamais, raconte Arthur Waller, celui qui allait reprendre le rôle de CEO de Pennylane après avoir tenu ce rôle pour PriceMatch. Sinon la vie allait nous séparer et chacun serait parti dans un projet ou un autre. ".

Cette décision est prise en partant du principe qu’ils se font confiance et qu’ils ont tellement pris de plaisir à construire ce premier projet ensemble que, d’après l’expression consacrée, ils n’avaient presque pas l’impression de travailler. Ils se fixent trois critères pour chercher le sujet de leur prochaine entreprise.

Tout d'abord, ils souhaitent s'adresser à un très grand marché, où la technologie est en mesure de faire la différence, si possible sur un marché de remplacement plutôt que d’évangélisation. Ce dernier point est un héritage direct d’une frustration qu’ils ont connue sur leur précédente startup : ils proposaient un logiciel où il fallait convaincre chaque hôtel de l’intérêt de payer pour un produit qu’ils n’avaient pas auparavant. Ils cherchent donc un marché plus concurrentiel, avec des clients déjà tous prêts à payer pour un service. De leurs conversations avec de nombreux dirigeants, ils identifient le besoin de proposer un outil pour piloter les finances d’une entreprise. Pennylane était né.

De 0 à 80 % du marché en 8 ans ?

L’aventure commence donc en septembre 2019 où ils se mettent à construire le squelette de leur logiciel de comptabilité. En mai 2020, les cofondateurs annoncent officiellement l’existence de Pennylane, tout en signant une première levée de 4 millions d’euros auprès de Global Founders Capital. Ils commencent aussi à signer leurs tout premiers clients. La solution n’est pourtant pas tout à fait prête à se retrouver dans les mains des cabinets d’expert-comptable et la startup embauche des comptables pour réaliser à la main les actions bientôt automatisées par le logiciel.

Huit mois plus tard, en janvier 2021, un premier cabinet s’équipe pour tester la solution sur un client. En août 2021, un autre va quitter la solution proposée par le géant Cegid pour adopter Pennylane. Puis c’est le premier gros cabinet qui vient lâcher Sage pour déployer le produit de cette startup nouvellement lancée, à ses 12.000 clients.

En parallèle de la croissance exponentielle de leur nombre de clients, Pennylane multiplie les levées de fonds. Après celle de 4 millions d’euros en mai 2020, une Serie A de 15 millions d’euros intervient en janvier 2021, puis une Serie B de 50 millions en janvier 2022. Derrière ces deux dernières levées qui ont permis à la startup de réaliser son accélération record, l’un des fonds d’investissement les plus réputés de la planète : Sequoia.

Avec Airbnb, Google, Apple ou Facebook à son tableau de chasse, Sequoia est reconnu pour sa capacité à faire décoller une startup comme personne. La légende voudrait que son investissement dans les premières années de Facebook lui aurait permis d’atteindre un retour sur investissement de 360.000 %. " Ils investissent dans des boîtes qui, d’après eux, peuvent créer des catégories, explique Arthur Waller. Leur critère numéro un, c’est que ta boîte puisse devenir énorme.".

Un an après cette levée de 50 millions d’euros, Pennylane pourrait commencer à leur donner raison : ils passent sur ces douze mois de 3.000 à 40.000 clients. Ils équipent aujourd’hui entre 1,5 et 2 % des entreprises françaises. Mais l’ambition dévorante de Pennylane ne s’arrêtera pas là. " On vise 80 % du marché à horizon cinq ans ", lâche Arthur Waller sans sourciller.

La thèse de Sequoia

" Nous sommes sur un marché que l’on appelle “winner takes all” (le vainqueur prend tout ndlr) ", commente le CEO de Pennylane. Plus tu as de cabinets, plus tu as de clients, et plus tu as de clients et plus tu remportes de nouveaux cabinets. In fine, si ton produit est meilleur, tu peux vraiment t’imposer très largement sur un marché.". Il s’agit du moins du pari que Sequoia a pris en misant sur la startup française. C’est d’ailleurs le fonds californien qui est venu chercher Pennylane pour lui présenter sa vision.

" Sequoia est venu nous voir avec une thèse, confirme Arthur Waller. D’après eux, il manque un acteur européen dans ce qu’ils appellent le Financial OS (le système d’exploitation financier) des TPE/PME.". Ce marché est monopolisé aux États-Unis par la société Intuit et son QuickBooks, mais ce géant pesant 120 milliards de dollars n’a pas réussi à s’installer en Europe où les spécificités locales ont eu raison des millions d’euros investis dans le Vieux Continent. Ils annoncent donc leur départ de la France fin 2022.

Il y a une opportunité pour devenir le Intuit européen, Sequoia en a la conviction, et ils misent tout sur Pennylane. " On a clairement une pression supplémentaire avec Sequoia au capital, partage le CEO. Après, c’est exactement ce que l’on cherchait d’être challengé. Quand tu lèves des fonds, c’est comme s’engager sur une piste de ski. Tu t’engages pour aller jusqu’à la piste suivante et tu ne peux pas faire demi-tour. Dans cette comparaison, Sequoia c’est la piste noire. Il ne faut pas trop se rater sinon la sortie de piste risque d’être rapide et violente. ".

Mais le défi est à la hauteur des ambitions des fondateurs de Pennylane. " Sage et Cegid ont pour habitude de racheter leurs concurrents pour les tuer dans l’œuf, explique-t-il. Nous on a déjà revendu PriceMatch à Booking.com, on a un matelas financier. On ne fait absolument pas Pennylane pour le revendre. On veut vraiment l’emmener très loin.".