Paul Courtaud a toujours adoré construire des choses. Il en veut pour preuve sa chambre d’enfant qui était remplie de Kapla, ce jeu de construction sur lequel il pense avoir passé des milliers d’heures.

À 27 ans, Paul Courtaud est déjà un entrepreneur aguerri. Première aventure entrepreneuriale à 14 ans : un agrégateur de bons plans en achat groupé (de type Groupon) qui lui permet de se rémunérer grâce à l’affiliation. Il tient pourtant à reverser la moitié de ses gains à une œuvre caritative du choix du client. Ce besoin d’avoir un impact ne le quittera plus.

À 16 ans, Paul Courtaud crée Futurness, un service de coaching en orientation qu’il revendra quelques années plus tard au groupe L’Etudiant. " La moitié des jeunes accompagnés était issue de la protection de l’enfance ou était en situation de handicap, explique Paul Courtaud. Des personnes pour qui il n’existait aucun contenu adapté pour les guider de manière efficace ".

Pendant cette aventure, il fait une expérience qui va le transformer : deux salariés de Futurness étaient en situation d’échec complet. Respectivement chargées de la partie commerciale et administrative, les deux jeunes femmes ont montré une volonté de participer à la réussite de l’entreprise, mais cumulaient erreur sur erreur dans leurs postes respectifs. Paul leur propose alors une petite expérimentation : et si elles venaient intervertir leurs postes pendant deux semaines ?
L’expérience est une révélation. Elles continueront chez Futurness jusqu’à prendre le rôle de directrice générale pour l’une et de directrice commerciale pour l’autre. " J’ai compris l’importance d’avoir la bonne personne au bon endroit ".

C’était décidé, sa startup suivante allait s’attaquer au domaine de la gestion des talents des entreprises. Neobrain était né.

Les trois piliers de Neobrain

Progressivement, Paul Courtaud et ses équipes mettent en place une offre de service basée sur trois grands piliers qu’ils nomment AI Skills Management, Talent Marketplace et Strategic Workforce Planning.

Le premier vise à analyser et modéliser les compétences présentes en interne. L’objectif ? Identifier les compétences qui sont en train d’apparaître ou de disparaître, pour adapter leurs programmes de formation en conséquence.

De son côté, la Talent Marketplace vise à accompagner les collaborateurs dans leur mobilité interne, les aidant à identifier les nouvelles opportunités où leurs compétences pourraient être mises à profit. Cet outil va également les aider à planifier une trajectoire de carrière et donc de se voir recommander les formations adéquates pour suivre un objectif fixé.

Le dernier pilier enfin, le Strategic Workforce Planning accompagne la transformation d’une entreprise en venant les aider à planifier l’évolution de leurs effectifs et des compétences nécessaires pour soutenir leur vision stratégique.

" Il s’agit de quelque chose que les RH font souvent sur Excel, décrit Paul Courtaud. Je discutais d’ailleurs avec une compagnie aérienne qui m’expliquait que la mise en place d’une telle boucle de planification leur prenait six mois, le temps que le document fasse le tour de toutes les strates de managers pour identifier les besoins en termes d’effectifs. En six mois, un Covid peut se produire et l’entreprise peut se retrouver à réduire 30 % de leurs effectifs… avant de devoir recruter à nouveau 30 % de personnes en plus six mois plus tard. Cela se passe régulièrement, et si c’est une rupture violente dans la carrière de nombreux salariés, c’est aussi un manque à gagner pour les entreprises ".

Une promesse qui semble séduire les entreprises puisque Neobrain a réussi à convaincre des acteurs comme Danone, SNCF, TotalEnergies, Natixis, Cegid ou MoëtHennessy. Ce sont ainsi 300.000 collaborateurs qui utilisent chaque mois la plateforme.

Les montagnes russes

Paul Courtaud ne s’en doutait pas lors de la création de Neobrain en 2018, mais il allait vivre des sensations dignes des montagnes russes. " Notre objectif pour cette toute première année de Neobrain ?, lâche Paul. C’était de générer du cash sur le compte. Nous étions trois cofondateurs avec Jérémy Jaillant et Thomas Delacourt. On a démarré avec 10.000€ sur le compte en banque et il fallait payer les salaires ".

L’année est loin d’être de tout repos et ils se mettent donc à expérimenter de nombreuses choses, signant des clients sur de nombreux secteurs, dans des formats très différents. La startup se cherchait. La seule certitude ? La mission qu’ils se sont fixée, à savoir donner à chaque individu une boussole pour piloter sa carrière dans un monde en pleine mutation.

Avec 200.000 euros de chiffres d’affaires, ils sont rentables sur cette première année 2018.
En 2019, ils signent leur premier gros client avec le Groupe Renault, grâce à qui la plateforme va être améliorée, et leur permettre de signer d’autres clients. Résultat en 2019 : 600.000 euros de chiffres d’affaires pour cette deuxième année et ils restent rentables.

Paul Courtaud décide alors de lever des fonds en 2020 : " J’ai envoyé un premier deck et on m’a dit qu’il était complètement minable et qu’il ne fallait surtout pas que je l’envoie à quelqu’un d’autre ". Il trouve alors le deck de la startup SmartRecruiters en ligne. Il transforme ce PDF en présentation PowerPoint, modifie les chiffres et change le logo pour mettre le sien.

La levée de fonds est en bonne voie, mais la France se confine. Paul décide alors de mettre les bouchées doubles pour prouver qu’ils peuvent croître même pendant une crise pareille. Il refuse le chômage partiel et double les revenus pendant cette période.

Il lève alors 3 millions d’euros auprès de Breega. Leur levée de fonds suivante est presque aussi rocambolesque puisqu’elle s’est signée le 24 décembre 2021 à 22 heures. Jusqu’à la dernière minute, les négociations font rage, chaque partie espérant que l’autre flanche pour lâcher une clause par envie de retourner auprès des siens pour le repas de Noël. Ils l’annoncent quelques mois plus tard : Neobrain lève 20 millions d’euros auprès d’Alter Equity, Crédit Mutuel Innovation, XAnge et Breega.

2022, les équipes passent de 30 à 140 personnes. Ils déménagent. Ils rachètent leur concurrent Wiser Skills. Les montagnes russes sont véritablement lancées à pleine vitesse quand un événement enverra une onde de choc monumentale sur la jeune startup.

Thomas Delacourt, cofondateur de la startup, meurt subitement. " On s’est vraiment demandé si on allait passer ce cap-là ", confie Paul Courtaud. Neobrain vit une période de flottement. Les équipes vont pourtant se retrouver encore plus soudées par cette épreuve. Elles décident alors de se démener pour faire vivre son héritage. Son nom est notamment donné aux deux bâtiments qui accueillent désormais leur siège social. De 140, ils passeront à 300 en 2023.

Entrée dans un sas de stabilisation

La rentabilité que Neobrain affichait fièrement pendant ces deux premières années est devenue un concept très lointain après leur première levée de fonds. Mais, voyant le climat d’incertitude qui plane aujourd’hui, de nombreuses entreprises anticipant une forte récession en 2023, la startup se donne pour mission de repasser rapidement dans un mode rentable.

" Dans les prochains mois, on va chercher une croissance plus raisonnable, être rentable et être capable d’autofinancer certaines innovations. On souhaite mettre en place un sas de stabilisation… puisqu’il faut que les personnes maîtrisent leur job, que l’on ancre les choses. Je pense aussi que nos clients attendent des boîtes qui ont une vision assez saine dans cette phase-là ".

Paul Courtaud en profite aussi pour prendre le temps de grandir dans son rôle, ce qu’il considère être la chose la plus difficile à gérer. " Je pense que tu peux très vite, en tant que fondateur, devenir le facteur limitant de ta propre boîte ". Il cite alors l’exemple d’un autre fondateur qui expliquait que, en tant que CEO, il fallait savoir se virer tous les trois mois, pour se réembaucher tous les trois mois. Il a gardé l’idée de se questionner chaque trimestre sur son rôle. Il se plie donc à l’exercice d’écrire sa fiche de poste, comme s’il devait aller chercher une personne pour prendre sa place. Paul est pourtant bien loin de se voir partir de Neobrain. Il se donne pour mission de marquer durablement son secteur et il est aujourd’hui la meilleure personne pour le faire… du moins pour les trois prochains mois, et les trois suivants …