Albert Codinach est devenu ingénieur par défaut. Doué en mathématiques et en physique, l’école d’ingénieur semblait être logique. Il se posait pourtant de nombreuses interrogations sur les questions sociales et géopolitiques qui secouent notre société. Le secteur de l’énergie semblait répondre à bon nombre de ses questionnements et il se dirigea vers ce milieu pour insuffler du sens dans la maîtrise technique qu’il avait acquise.

Le parcours d’Albert Codinach est également marqué par la crise financière de 2008, lui qui a quitté son Espagne natale à ce moment-là, pour venir s’installer en France. Après un passage au sein de la Compagnie Nationale du Rhône, il fonde BCM Energy en proposant différentes activités dans le domaine des énergies renouvelables et notamment le trading d’électricité verte. En 2016, Albert Codinach croise le chemin du fournisseur Planète Oui, alors en liquidation judiciaire. Il décide de reprendre l’affaire à la barre. Le groupe BCM Energy s’efface ensuite derrière la marque Planète Oui, qui devient rapidement la figure de proue de leurs activités.

Une croissance autant positive que négative

En 2010, les énergies renouvelables ne représentaient que 6 % du mix énergétique français. En 2022, ce chiffre a plus que doublé pour arriver à 14 %. Une croissance dont Planète Oui a largement bénéficié, puisque le fournisseur gagnait entre 10.000 et 15.000 clients par mois. De son aveu, Albert Codinach s’est laissé séduire par les sirènes de l’entrepreneuriat qui l’invitaient à viser une croissance infinie en multipliant les augmentations de capital.

Après une levée de 4 millions d’euros en 2019, Planète Oui allait avoir besoin de lever 25 millions en 2021. " C’était la levée de fonds de la confirmation, confie Albert Codinach à Maddyness. J’étais dans cette dynamique de croissance où la seule chose qui comptait, c’était de croître… on verra après pour trouver l’argent ".

Le CEO est confiant devant le nombre de clients qu’ils arrivaient à capter chaque mois, mais il n’avait pas anticipé qu’un client puisse ne pas être rentable. Avec la flambée des prix sur les marchés de l’énergie et les gels tarifaires, plus Planète Oui gagnait des clients, plus la société était à risque. " J’avais la vision du fait qu’on allait nous valoriser au nombre de clients, mais on n’a fait que creuser la dette. On vivait clairement au-dessus de nos moyens ".

Quand il devient clair que la levée de 2021 ne se fera jamais, la société Oui Energy se retrouve en redressement judiciaire, qui l’oblige à revendre son activité connue sous la marque Planète Oui, à la société Mint Énergie.

" Il ne faut pas se mentir… quand on est entrepreneur à 30 ans et que l’on se retrouve dans un univers où les médias mesurent le succès à la taille de la levée de fonds, je me suis laissé emporter. À un moment, l’objectif pour moi était juste de faire une levée. Ça n’a pas de sens. Mais c’est vraiment à partir du moment où tu as annoncé une levée de fonds que tu te fais solliciter par les journalistes, que les banques commencent à te parler, on a l’impression de commencer à exister à partir du moment où on lève des fonds ".

elmy, le phœnix de l’énergie

Sur les soixante-dix salariés de Planète OUI, une trentaine va rejoindre la société Mint Énergie lors du rachat de Planète OUI. Albert Codinach se retrouve donc avec quarante salariés qui souhaitent rester avec lui pour construire la suite. Si le groupe BCM Energy a perdu sa figure de proue, la décision est vite prise de le remplacer par un acteur qui retiendra toutes les leçons de cet échec.

elmy se lance en juin 2022, il y a à peine sept mois, avec l’ambition de se présenter comme un énergéticien intégré 100 % vert. elmy est donc présent à chaque étape de la chaîne de valeur, à la fois producteur, gestionnaire et fournisseur. Une approche qui ne sera pas sans rappeler la volonté d’un Jean-Daniel Guyot de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur avec Memo Bank.

Dans les faits, elmy ne produit pourtant que 2 % de l’énergie qu’elle va vendre et n’est pas très optimiste dans sa capacité à faire évoluer ce chiffre dans l’immédiat face aux investissements requis pour le faire. " Notre volonté dans le fait d’être un énergéticien, et pas seulement un fournisseur, est un investissement pour monter dans la chaîne de valeur, et être capable d’être au plus près des producteurs en l’étant nous-mêmes ".

L’entreprise se fournit aussi exclusivement auprès de producteurs d’énergies renouvelables en France.
" Nous voulons aussi nous engager pour une transition énergétique juste… en venant montrer que l’objectif ce n’est pas seulement de s’engager autour des énergies décarbonées, mais de le faire avec un impact social ".

L’entreprise a donc mis en place plusieurs expérimentations telles que la semaine de quatre jours et surtout l'holacratie, une gouvernance où la prise de décision est davantage partagée avec les équipes.
" Il s’agit d’un sujet sociétal, explique Albert Codinach. Mais je peux l’appliquer à mon échelle au sein de ma société ".

Pour cette nouvelle marque portée par BCM Energy, le CEO semble donc s’être posé beaucoup plus de questions pour installer des bases bien plus solides que celles de Planète Oui. Il semble ainsi avoir retenu la leçon et affiche aujourd’hui fièrement la rentabilité de son entreprise avec une bonne visibilité sur 2023. BCM Energy atteint ainsi 200 millions de chiffre d’affaires, mais Albert Codinach reconnaîtra que la toute récente activité d’elmy ne représente pas encore 10 % de ce chiffre.

Il regrette pourtant le manque d’intérêt de la presse pour une entreprise française indépendante dans le monde de l’énergie renouvelable. " Si je faisais une levée de fonds de 25 millions d’euros, je suis sûr que les journalistes se bousculeraient et que l’on m’inviterait à parler sur BFM TV ".

Albert Codinach ne ferme d’ailleurs pas définitivement la porte au fait de réaliser une levée de fonds par la suite… mais pas à court ou moyen terme. " Il nous faudra trouver le partenaire avec qui on partage une vision et des valeurs… avec qui on va construire un projet commun ".