Entrepreneur, est-ce légitimement un métier?

L’entrepreneuriat a le vent en poupe avec près de 1 million d’entreprises créées en 2021 (Insee, 2022). Cette dynamique soutenue par l’action publique, dès 1999 avec la loi Allègre sur l’innovation, l’apparition des pôles de compétitivité en 2004, la fondation des SATT (Société d’Accompagnement au Transfert Technologique) en 2012, le cocorico du coq de la French Tech en 2013, le projet PEPITE pour l’entrepreneuriat étudiant en 2014 et le Label Deeptech dernier né pour distinguer les sociétés particulièrement innovante depuis 2019.

Ces dispositifs traduisent l’ambition gouvernementale d’encourager l’innovation au travers la création d’entreprises autour notamment de l’IA, de la Smart City, de l’IOT, de la santé, de la tech… et même d’en faire le moteur de croissance, de compétitivité et d’excellence de la France. Cet élan, relayé par les médias et le public au travers des récits de réussite d’entreprises, de podcasts, d’émissions télévisées comme “qui veut être mon associé?” concourent à véhiculer une image positive de l’entrepreneuriat, et à renforcer la confiance des futurs entrepreneurs.

Pourtant, aujourd’hui, cette politique semble atteindre certaines limites. C’est le contre-coup de la ruée vers l’or, beaucoup d’appelés, peu d’élus, et beaucoup de déçus. Cette ruée a conduit l'entrepreneuriat à s’institutionnaliser, créant ses propres normes, son vocabulaire, ses communautés de pratiques. Cette institutionnalisation normalise, bureaucratise même, comme le disait Ludwig Von Mises, le processus de création entrepreneuriale, et contrarie le couple historique créativité et entreprenariat.

Nous pouvons souffrir du risque que l’entrepreneuriat deviennent un nouveau miroir aux alouettes, une promesse de marketing politique sans que les candidats à la création d’entreprises disposent de toutes les clés.

“Il y a 20 ans, on faisait croire aux jeunes qu’ils deviendraient tous des # Eminem, il y a 10 ans, qu’ils deviendraient tous des # Zidane et aujourd’hui qu’ils deviendraient tous des # Steve Jobs” comme le déclare Jean-Baptiste Jaussaud, économiste, entrepreneur et cofondateur de la chaire légitimité entrepreneuriale.

Pour éviter qu’il reste une fausse promesse, l’entrepreneuriat a dû se professionnaliser. Et comme dans la musique ou dans le sport, la réussite sourit à ceux qui s’adapteront, qui travailleront dur tous les aspects de leur projet et particulièrement leur légitimité. Légitime c’est être perçu comme conforme aux attentes des différentes audiences.

On ne crée plus son entreprise d'électricité, seulement parce que l’on a reçu une formation d'électricien, mais on se prépare à innover dans le secteur de l'électricité parce que l’on a aussi reçu une formation à organiser la création de valeur : entrepreneur est devenu un vrai métiercomme le stipule Jean-Baptiste Jaussaud. 

Les structures d’accompagnement sont-elles légitimes?

L’entrepreneuriat mania, oubliant parfois le sens du métier d’entrepreneur pour céder à l’effet de mode, est considérée par certains comme une inflation incontrôlée conduisant à des sur représentations de certains acteurs de l’écosystème. Pour s’y retrouver beaucoup d’entrepreneurs ont recours aux services de professionnels de la création d’entreprises. Et si bien souvent ces structures permettent de résoudre de nombreuses problématiques des créateurs, la question de leur légitimité se pose.

A titre d’exemple, une partie de la presse relaye les dérives de certaines structures d’accompagnements: mauvaise allocation de leurs ressources financières, manque d’efficacité, surnombre, déception sur les programmes proposés, etc.

De plus, la capacité des structures d’accompagnement à détecter le potentiel des projets et des entrepreneurs est challengée. Par extension, cette remise en cause nous interpelle sur la question de la légitimité des structures d’accompagnements, qui est la clé de la légitimité des entrepreneurs qu’elles accompagnent.

“Il n’y a pas d’accompagnement produisant des entrepreneurs légitimes sans structures d'accompagnements ayant su bâtir leurs propres légitimités” explique Bénédicte Aldebert, Directrice et co-fondatrice de la Chaire Légitimité  Entrepreneuriale.

Ce débat sur la légitimité peut être éclairé par le débat Voltaire et Rousseau concernant le tremblement de terre de Lisbonne de 1755. Voltaire défendait l’idée de fatalité de cet événement tandis que Rousseau voyait dans ce tremblement de terre une opportunité pour renforcer les recherches sur le risque et l’anticipation de ce type de catastrophe naturelle. La CLE retrouve dans ce débat la dérive observée chez certaines structures de financement et d’accompagnement, et met en lumière qu’à nouveau il ne faut pas céder à la fatalité, mais contribuer à l’émergence d’une science de l’accompagnement et de la création d’entreprises. Il est essentiel d’installer une réflexion sur la légitimité des structures d’accompagnement.

La légitimation est la clé du succès des startups.

Nous postulons que la légitimité est LE levier qui permettra aux entrepreneurs de faire face aux enjeux de la création d’entreprise et de construire leur pérennité, mais également aux acteurs de l’entrepreneuriat de progresser dans leur quête de sens. Pour acquérir de la légitimité, les entrepreneurs et les structures peuvent jouer sur cinq dimensions : qui ils sont (leur formation, leur parcours, leur motivation, leur expertise), ce qu’ils savent faire (comment ils mettent en oeuvre leur métier, à quel point savent-ils répondre aux demandes des parties prenantes), avec qui ils se lient (qui sont leurs fournisseurs, leurs associés, avec qui ils créés des partenariats), quels sont leur réussite (quels sont leurs indicateurs de performances), comment ils ont compris et se sont conformés aux enjeux, règles, codes, normes  usages de leur secteur, et enfin comment ils ont su se faire reconnaître, aider et se faire aider dans leur écosystème.

"Ce qui compte, c’est ce qu’on fait, pas qui on est. La légitimité, par définition se gagne, se construit, et la CLE a pour mission de mieux comprendre et de guider les acteurs de l’entrepreneuriat dans l’établissement de leur légitimité” conclut Antonin Ricard, cofondateur et directeur scientifique de la chaire légitimité entrepreneuriale.