5 septembre 2022
5 septembre 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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Pourquoi les FinTech pour ados attirent les jeunes et leurs parents

Money Walkie, Xaalys, Revolut Junior… Les solutions financières ciblant les jeunes essaiment doucement sur le territoire. Mais la récente fermeture de Vybe, qui a mis la clé sous la porte fin juillet 2022, interroge sur la viabilité de leur modèle.
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Entre le paiement, les envois d’argent et les remboursements via smartphone, le monde de la finance a su s’ouvrir aux nouvelles technologies pour proposer de nouveaux modes de consommation aux entreprises et consommateurs que nous sommes. Et, à ce jeu, les jeunes sont de plus en plus exigeants. Les offres des banques dites traditionnelles ne leur conviennent pas, ils cherchent de nouvelles expériences d’utilisation. Une aubaine dont plusieurs startups tentent de se saisir, en développant des offres pensées pour les moins de 18 ans.

"La banque pour les jeunes est un vieux sujet... Il y a eu plusieurs tentatives avec notamment la création d’un appendice au compte des parents mais les succès ont été modestes” , commente Alain Clot, Président de France FinTech.. Depuis 2019, quelques néobanques se sont elles-mêmes pliées à l’exercice en développant des offres pour 7-18 ans.

L’éducation financière séduit

Même si leurs solutions peuvent différer, toutes pointent la même volonté sur leur site : l’éducation financière. Money Walkie parle d’acquisition "de l’autonomie financière en douceur" et du développement des "bons réflexes de consommation". Un argument que l’on retrouve également chez Pixpay. De son côté, Xaalys décrit sa solution comme "une façon simple et amusante d’enseigner à ses ados la valeur de l’argent".

Le message marketing est clair. Mais reflète t-il vraiment la réalité ? Pour les trois experts la réponse est unanime. "Les usages sont vraiment développés autour de l’éducation financière" , débute Alain Clot. À la fois pour les parents et les enfants, car toutes ces applications font l’objet d’un contrôle parental, que ce soit par la mise en place d’un plafond de retrait/de paiement ou la réception d'une notification à chaque achat.

Dans le détail, Pixpay propose cinq méthodes aux adolescents pour gérer leur budget et économiser ainsi qu’une cagnotte pour leur apprendre à économiser en vue d’un achat ou d’un évènement particulier. Pour gérer au mieux leurs dépenses au quotidien, les jeunes utilisateurs disposent d’une vision de leur solde en temps réel. De leur côté, les parents possèdent leur propre application pour établir un versement régulier, à la mission ou simplement piloter les usages de leurs enfants.

Cet intérêt des parents pour ce genre de solution s’explique par un constat consacré dans une étude de la Banque de France : le manque de culture financière des Français. Selon les résultats, publiés en janvier 2021, "69 % des Français jugent leurs connaissances moyennes ou faibles sur les questions financières". Un constat que dresse également Arash Aloosh, professeur assistant en finance à Neoma Business School, soulignant que "de nombreux parents ne possèdent pas ces compétences" , ce qui les poussent à recourir aux "FinTech pour développer ces connaissances chez leurs enfants". Leur faible coût - un abonnement de quelques euros par mois - les rend, d’ailleurs, accessibles à de nombreux ménages.

Répondre aux nouveaux usages

Cette volonté d’éduquer dès le plus jeune âge répond à de nouveaux modes de consommation. La Fédération bancaire française indique ainsi que 96 % des enfants de 8 à 14 ans effectuent régulièrement déjà des achats par eux-mêmes.

Un fait générationnel qui s’explique par les changements de société. "Aujourd’hui, les enfants possèdent plus d’argent. Avant, ils gagnaient l’argent de leur baby sitting mais maintenant, ils commencent à gagner de l’argent par eux-mêmes plus jeunes en revendant des vêtements ou des jouets ou en tant qu’influenceurs via les réseaux sociaux" , développe Pauline Raud, responsable stratégie de marque chez Hub 612. Deux experts de la finance américaine ont récemment lancé Karat, une carte destinée aux influenceurs, précise-t-elle.

L’attrait des jeunes pour ces solutions provient aussi des services proposés. Ces solutions sont pensées pour répondre à leurs besoins avec un expérience utilisateur au design très soigné et un marketing adapté, pointe Alain Clot. Ce qui leur permet de se différencier des banques traditionnelles dont les discours peinent à les attirer. "Le contenu proposé est plus digeste, plus ludique et les informations sont plus légères. Certaines FinTech n’hésitent pas à faire des vidéos sur TikTok" , complète Pauline Raud.

Les modèles séduisent jeunes et parents. Sur son site, Money Walkie revendique plus de 15 000 utilisateurs tandis que Pixpay a débuté son internationalisation en 2021. Malgré tout, cela n’empêche pas quelques échecs dans ce milieu assez concurrentiel. En juillet 2022, Vybe a annoncé mettre la clé sous la porte.

La viabilité du modèle 

Comme dans de nombreux secteurs, l’enjeu des banques et des FinTech est l’acquisition et la fidélisation du client. "Ce coût est très élevé dans le secteur financier" , rappelle Alain Clot. Ce qui poussent les établissements à garder le plus longtemps possible un client dans son portefeuille. Mais qu’en est-il lorsque l’offre même proposée à une date de péremption annoncée - la date de la majorité - et que l’abonnement pour accéder à ces services est relativement accessible ?

Pauline Raud s’interroge aussi sur le sujet, reconnaissant que l’on manque encore de recul pour analyser le marché. La majorité des néobanques centrées sur les jeunes proposent des formules sous forme d’abonnement avec, pour certaines, l’ajout d’une offre de cashback en partenariat avec des enseignes (magasins de vêtements, cinéma, etc.). 

Pour Arash Aloosh, la question autour du coût d'acquisition n’est pas la même que pour les banques traditionnelles : "Les FinTech ont beaucoup moins de coûts opérationnels et il est très facile d'ouvrir un compte dans une FinTech." Néanmoins : "Comme le marché financier est très concurrentiel, très réglementé et que les FinTech ont des commissions réduites, il est très difficile pour elles de produire un bénéfice durable en tant qu'entité commerciale autonome" , poursuit-il. 

Alain Clot évoque, quant à lui, des néobanques dont l’offre pour les jeunes évoluera dans le temps afin les conserver dans la durée. Certaines se feront sans doute racheter mais d’autres peuvent parfaitement se développer en autonomie, notamment  en misant sur les partenariats, estime le président de France FinTech. Un modèle d’ailleurs très développé chez les FinTech et les AssurTech de manière générale qui misent très souvent à la fois sur le B2C et le B2B pour assurer leur croissance. Le cas de Revolut est un peu différent, souligne également Pauline Raud, la société pouvant récupérer les jeunes acquis via Revolut Junior comme client de sa solution pour les adultes une fois la majorité atteinte.

Arash Aloosh voit : "C'est une activité très attrayante pour les plateformes de médias sociaux, en tant que complément et partie croissante de leur activité d'accès aux informations financières de leurs utilisateurs et d'influence de leurs décisions financières. Il existe donc une concurrence importante entre les opérateurs historiques et les plateformes de médias sociaux dans le développement des FinTech. Par exemple, un conférencier invité de Paypal a dit à mes étudiants qu'ils avaient lancé Venmo, qui se concentre uniquement sur les jeunes clients, de grands utilisateurs de plateformes sociales."

Les multiples intérêts présentés par ces FinTech laissent présager qu’elles ont encore de beaux jours devant elles. Reste à savoir si leurs modèles économiques actuels leur permettront de se développer de manière autonome, ou si elles devront s’associer pour continuer à exister.