Sur le papier, vos deux structures sont plutôt différentes, un peu du genre la carpe et le lapin. Comment vous est venue l’idée de vous associer ? Et si ce n’est pas indiscret, qui a fait le premier pas ?

Léa : makesense est un écosystème associatif créé en 2010 qui soutient historiquement les pionniers de l'entrepreneuriat à impact. On porte la valeur collaboration au cœur de notre ADN et on aime créer des ponts entre des milieux qui ne se fréquentent pas. C’est pourquoi on a l’habitude de solliciter des aides extérieures pour nos différents projets. Il y a quelques années, on a demandé aux fondateurs de Serena d’être nos mentors sur les sujets d’investissement, et comme ils ont la transmission dans les tripes, ils ont accepté !

Éric : Fin 2020, lorsque l’on a découvert que MGEN souhaitait lancer un fonds de 80 millions sur des thématiques sociales et environnementales pour prendre soin du monde, cela nous a semblé tout naturel de proposer à makesense une candidature commune. Cette fois-ci, c’est nous qui sommes venus toquer rue Biscornet.

Vous aviez l’un et l’autre une belle dot à proposer, il y avait quoi dedans ?

Éric : Serena est un fonds d’investissement créé en 2008 avec une volonté, très ancrée dans notre modèle, d’accompagner les entrepreneurs et les C-levels dans leur développement pour permettre aux sociétés de passer à l’échelle de la façon la plus fluide possible. On a eu la chance d’accompagner de belles réussites comme Dataiku, Malt, Descartes, Aramis Auto. On cherche constamment à réinventer notre modèle, c’est ce que l’on a fait en étant un des premiers fonds d’entrepreneurs en France, puis en lançant le modèle d’operating partner, et désormais en cherchant à accompagner des entrepreneurs proposant une vision d’une société plus inclusive et respectueuse de l’environnement.

Léa : Chez makesense, on a une obsession depuis toujours, redonner le pouvoir d’agir à chacune et chacun pour créer une société inclusive et durable. On fournit le cadre, les outils et les compagnons de route pour que ce soit possible. Sur le plan entrepreneurial, cela se traduit par des programmes d’incubation, d’accélération et de financement collectifs qui nous ont permis d’accompagner 10.000 entrepreneur·ses depuis les débuts de notre aventure, aux profils très divers (de TooGoodToGo, Helios, Toopi à la Cloche, Tirelires d’avenir ou encore Vendredi, EachOne, LeDriveToutNu). On a développé un beau et grand réseau sans dévier de notre ambition initiale de vouloir résoudre les problèmes à grande échelle. Ambition ou naïveté ? La question reste posée.

Pourquoi avoir eu envie de vous rapprocher autour du fonds d’investissement Racine2 ?

Léa : Chez makesense, on a envie de faire les choses en grand. On sait qu’on a des forces mais aussi des expertises à combler. On a trouvé chez Serena la capacité à faire de l’investissement de façon ambitieuse, d’accompagner les entreprises du portefeuille à devenir les leaders de leur marché, et de belles années de travail au compteur. L’investissement est un métier d’expérience, la collaboration avec des acteurs qui ont ce vécu est irremplaçable.

Éric : On avait réellement envie d’aller plus loin dans la mission que nous nous sommes fixée, celle d’accompagner des entrepreneurs innovants et ambitieux au service d’un monde meilleur. On avait aussi envie d’accompagner au mieux les entrepreneurs cherchant à adresser les challenges du 21ème siècle, en le faisant de manière authentique et en s’entourant des personnes les plus crédibles pour le faire. C’est comme cela que s’est construit Racine², on a l’un et l’autre gagné dix ans d’expérience !

Quand on se marie, on ne sait pas tout de l’autre. Après douze mois de collaboration, quelles sont les grandes différences que vous avez observées ?

Éric : La plus grande différence entre nous est sans doute d’ordre culturel. Dans le monde de l’investissement, on est dans un univers assez solitaire avec une forte culture du secret alors que chez makesense, c’est radicalement l’inverse. Tout doit être transparent et collectif. C’est intéressant de faire s’entrechoquer ces cultures.

Léa : La bonne nouvelle, c’est que si ça fonctionne bien dans le fonds Racine², c’est parce qu’on a réussi à instaurer cette transparence entre nos deux structures et avec nos financeurs, MGEN et le groupe Vyv. Ce qui change aussi, c’est les discussions à la machine à café : une grosse partie des équipes de makesense travaillent au quotidien sur l’engagement citoyen, le soutien aux associations, aux collectivités locales. Si on leur parle d’EBIDTA, ou de la dernière levée de Solaris, ils font les yeux ronds alors que les équipes de Serena maîtrisent tout cet univers-là.

Et les points communs que vous n’aviez pas perçus il y a un an ?

Léa : Serena et makesense partagent la même culture entrepreneuriale et l’envie de transmettre. Les fondateurs de Serena ont vu le film 25 fois, pourtant ils laissent à Eric et moi une grande autonomie et n’imposent jamais leur point de vue. Ils partent du principe que c’est en faisant qu’on apprend, comme chez makesense où les décisions sont prises par sollicitations d’avis, un principe issu de la sociocratie. Dans les deux cas, on prend les avis de différentes personnes mais la décision finale appartient à la personne qui porte le sujet. C’est étonnant et touchant de retrouver des pratiques communes dans des milieux qui n’ont pas démarré avec la même histoire.

Éric : Malgré certaines différences, on partage beaucoup de similarités. Nous avons des valeurs très proches et partageons une envie commune de construire des sociétés plus respectueuses de leur écosystème social, sociétal et environnemental. On partage aussi un bagage socio-culturel similaire, auquel on fait attention afin de limiter les biais de nos décisions d’investissement.

Qu’est-ce que l’autre vous a apporté en un an ?

Éric : Cette collaboration m’a permis de rencontrer d’autres profils d’entrepreneurs, notamment sociaux, qui se sont construits selon des schémas distincts de ceux généralement déployés par les startups que nous accompagnons, notamment dans une volonté d’intégration plus forte de leurs parties prenantes ou de partage de la valeur. Ces rencontres m’ont amené à actualiser ma grille de lecture d’investisseur et m’ont questionné plus profondément sur le métier et ses pratiques, son rapport au temps, et sa définition de la performance.

Léa : En un an, Serena m’a apporté mille choses, des belles rencontres, des défis intellectuels, la confiance que c’est possible de faire ensemble quand on est différent. Être à deux ça ouvre des portes tout le temps, ça donne de la crédibilité, ça aiguise son regard critique. À deux, c’est mieux !

L’avenir, vous le voyez comment, ensemble ?

Léa : Un an de collaboration, c’est bien mais tout reste à faire. On a déjà investi dans 3 structures (May, Helios et Lokki) mais il y en aura beaucoup d’autres. La vie d’investisseur·ses n’est pas toujours rose. On rencontrera forcément des embûches au cours de notre voyage…
Aujourd’hui, on est souvent contactés par des personnes qui montent des fonds à impact et qui veulent des conseils. On veut être les témoins d’une collaboration efficace.

Eric : Racine², c’est un fonds de 85 millions, l’un des plus gros fonds d’impact en France. Il faut qu’on ait une forme d’exemplarité sans tomber dans du greenwashing. C’est pourquoi avec Léa, on est dans une posture de transmission et d’humilité. On partage nos apprentissages sans prétendre que l’on a tout compris. Un peu comme dans cet article…