Pour l’écosystème tech, le sujet est relativement nouveau : depuis plusieurs années, le capital était devenu abondant et les levées de fonds un exercice presque routinier. Mais les choses ont changé en 2022 : "Ce n’est plus une surprise pour personne : il est plus compliqué de lever des fonds aujourd'hui. Les investisseurs ont encore du “dry powder”, mais ils prennent plus de temps, sont plus regardants, moins agressifs. On n’est plus du tout dans la même dynamique de marché qu’en 2020/2021", constate ainsi Thomas Dupont-Sentilles, associé dans l’équipe Tech du cabinet d’avocats Goodwin.

C’est pendant l’été 2022 que le cabinet a commencé à recevoir les premiers dossiers de restructuring dans le secteur : "il s’agit d’entreprises qui avaient connu une succession de levées de fonds assez faciles, mais qui ont commencé à avoir beaucoup plus de mal à trouver des financements," commente sa collègue Céline Domenget-Morin, en charge de la practice restructuring au bureau de Paris. Son rôle ? Trouver les bonnes solutions pour faire face aux difficultés, lorsque les process de levées de fonds s’éternisent : procédure amiable, discussion avec les actionnaires en place pour mettre en place un “bridge”, réaménagement des dettes et des PGE lorsqu’il y en a, etc.

Un maître mot : l’anticipation

Malheureusement, trop souvent, les entrepreneurs tardent à prendre conscience de l’urgence de la situation et s’enferment dans une fuite en avant. "De manière générale, les dirigeants s’y prennent trop tard : ils vont chercher de l’aide quand ils ont un mur devant eux et qu’ils sont pris dans un engrenage", regrette ainsi Sophie Paquin, Directrice Juridique de Bpifrance Investissement. Cette réaction trop tardive a pourtant de lourdes conséquences : "lorsqu’il y a de la dette, toutes les banques acceptent généralement de repousser les échéances, mais quand l’entreprise en arrive là, c’est qu’elle est déjà mal en point. Cela fait peur aux potentiels partenaires ou acquéreurs.".

"Le maître mot c’est l’anticipation. Il faut se renseigner sur le monde des entreprises en difficulté avant même d’avoir des problèmes", ajoute-t-elle, en conseillant de s’entretenir très tôt avec un avocat pour être au fait des différents mécanismes existants (mandat ad hoc, conciliation, procédures collectives,,…) et avoir les bons réflexes lorsque les échéances approchent.

L’idée est de tout faire pour éviter le pire, c’est-à-dire le dépôt de bilan sans anticipation, synonyme de liquidation judiciaire rapide : "si on sent qu’on va être à court de cash, s’il y a une technologie, des actifs à sauver, des salariés qui sont clés, il faut se placer sous la protection du tribunal de commerce, via un mandat ad hoc ou une conciliation", conseille Sophie Paquin.

Le “dual track”, pour mettre toutes les chances de son côté

Autre approche à adopter : celle du “dual track”, qui consiste à mener de front une levée de fonds et la recherche d’un acquéreur. Une démarche qui nécessite des changements stratégiques et des choix parfois difficiles à opérer : "il faut s’assurer d’avoir une mariée qui soit suffisamment belle, avec des activités qui présentent un vrai potentiel de rentabilité", explique Céline Domenget-Morin.

La recherche d’un acquéreur implique ainsi un retour à un principe de réalité. L’enjeu ? Concentrer ses forces sur les sources de revenus et sur les projets qui présentent de réelles opportunités de profitabilité à court et moyen terme, ce qui implique généralement des coupes dans la masse salariale et l’arrêt des projets les moins matures, voire, dans certains cas des changements de modèle. Un passage obligé pour séduire un acquéreur.

Des opportunités à saisir

Là encore, l’anticipation est clé : "elle permet de se garder un champ des possibles", afin d’éviter de subir la situation. Il est même possible d’en tirer parti : le contexte actuel ouvre en effet de nombreuses opportunités pour les startups, qui peuvent être autant des cibles que des acteurs des mouvements de consolidation en cours.

Thomas Dupont-Sentilles et Céline Domenget Morin citent ainsi le cas d’un de leurs clients, dans la e-santé : alors que sa levée de fonds prenait plus de temps que prévu, l’entreprise s’est portée acquéreur à la barre du tribunal d’une startup complémentaire à son activité, grâce au soutien d’un actionnaire historique. Les synergies permises par ce rapprochement ont contribué à convaincre de nouveaux investisseurs et la levée a finalement abouti quelques mois plus tard…