17 novembre 2022
17 novembre 2022
Temps de lecture : 9 minutes
9 min
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Weezevent : vendue puis rachetée, la startup poursuit son aventure depuis 15 ans

Pierre-Henri Deballon et Sébastien Tonglet dirigent Weezevent à leur manière : sans compromis et sans suivre les modèles. C’est l’histoire atypique d’une entreprise qui ne connaît que la rentabilité depuis 2012 et qui a doublé son chiffre d'affaires en 2021 par rapport à 2019 pour atteindre 250 millions d’euros. 
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Le moteur principal de Pierre-Henri Deballon, c’est la liberté. Une valeur transmise par un père entrepreneur et une mère qui avait eu l’audace de démissionner pour montrer son désaccord avec une décision prise par son employeur.

" Ils n’ont jamais essayé de m’orienter vers la médecine ou le droit, explique-t-il à Maddyness. Ils m’ont juste invité à faire quelque chose qui me plaît… mais de le faire à fond ".

Cet état d’esprit est encore vibrant chez lui, même quinze ans après le lancement de Weezevent. Pierre-Henri Deballon est un entrepreneur qui développe son esprit de compétition et qui refuse de prendre des raccourcis.

Du bootstrap à la revente

Tout a commencé en septembre 2007 quand Pierre-Henri Deballon et Sébastien Tonglet démissionnent pour créer les statuts de leur entreprise quelques mois plus tard, en avril 2008. En 2010, leur chiffre d’affaires annuel plafonne à 30.000 euros.

" La première phase de Weezevent, cela a été le grand saut dans le vide et le bootstrap, décrit Pierre Henri. Et je pense que c’est bien de le rappeler parce que les gens ont souvent l’idée de l’entrepreneur qui a une idée géniale et pour qui tout est facile. La réalité, c’est que la création d’une entreprise innovante, c’est long ". 

La phase suivante n’est pas forcément plus facile. Ils atteignent effectivement la rentabilité, mais ils réinvestissent tout dans le produit. De son aveu même, Pierre-Henri Deballon ne se juge pas excellent dans l’exercice de la levée de fonds. Il s’y essaye sans succès en 2011. Jusqu’au moment où Weezevent gagne le concours du Fast500 qui les place soudainement sur le radar de nombreux fonds.

Le CEO de la startup nomme cette période " les fonds, je t’aime moi non plus ".

En 2014, les propositions de rachat se multiplient. Pierre-Henri se rappelle de montants qui auraient pu changer complètement sa vie. 

Cela fait depuis sept ans que les 2 fondateurs travaillent " comme des dératés " et ils se posent sérieusement la question.

S’ils revendent, ils se mettent à l’abri pour une très longue période. S’ils ne revendent pas et que la boîte s’effondre, ils auront tout perdu. Pierre-Henri et Sébastien sont d’anciens sportifs et la stabilité n’est pas leur critère numéro un dans un choix. Ils trouvent un choix intermédiaire.

Racheté par Vente Privée (en catimini)

Pour sortir le fonds qui était au capital de Weezevent, Pierre-Henri Deballon et Sébastien Tonglet se revendent à Vente Privée (depuis rebrandé en Veepee).

" Ils ont racheté les 30 points qu’avait ce fonds et Sébastien et moi on a fait du cash out. Finalement, on a cédé 60% du capital à Vente Privée. Donc en fait, on a vendu… mais on ne l’a jamais vraiment dit ".

Cela faisait d’ailleurs partie du deal avec le géant du e-commerce qui a accepté de mettre en place une situation assez inédite. " Ce qu’ils ont fait est assez fou, souligne Pierre-Henri. Un groupe théoriquement plus structuré n’aurait pas fait l’opération. Mais le fait que Veepee soit un peu punk dans son état d’esprit (et nous aussi), cela a permis un deal assez improbable ".

Une réalité qui n’aurait donc pas pu être possible sans la personnalité de Jacques-Antoine Granjon, le CEO emblématique de Veepee qui a très vite compris que Pierre-Henri et Sébastien feraient de très mauvais salariés et qu’ils avaient plus de valeur en restant dans cette dynamique entrepreneuriale.

" On se comportait comme si on n’avait jamais vendu et que l’on était aux commandes complètes, rapporte encore Pierre-Henri. À tel point qu'on a racheté des boîtes sans leur dire ". 

Une tentative de synergie avait pourtant été envisagée quand Vente Privé était en train de structurer un département " entertainment ". La mayonnaise ne prendra pas et Veepee n’insistera pas pour leur laisser cette incroyable liberté. 

" On avait cette espèce de totem d'immunité parce que Weezevent a continué de délivrer année après année, en dépassant nos objectifs. Et finalement Veepee a réalisé un très beau multiple ". Parce que ce deal inédit a finalement pris fin en 2020 sous l’impulsion de la petite startup. 

" On arrive à l’entrée du COVID en pleine santé, me confie Pierre-Henri. On avait de la croissance, de la rentabilité, de la trésorerie. Je me dis même que cela pourrait se transformer en une opportunité avec tous nos concurrents qui perdent de l’argent et qui pourraient disparaître ". 

Grâce aux aides qui vont rapidement se débloquer, cette situation n’arrivera pas, mais Weezevent fait le choix le plus contre-intuitif possible. " On a décidé d’utiliser notre propre trésorerie pour être offensif. On entrait dans une période de crise, le moment où tout le monde a eu naturellement tendance à être en défense. Nous, nous sommes passés à l’attaque ". 

Les deux co-fondateurs décident de racheter les parts de Veepee pour reprendre le contrôle complet de leur entreprise. Pierre-Henri se désigne, avec son co-fondateur, comme étant de vrais entrepreneurs, des " dingos du sujet " qui vivent assez mal l’idée d’avoir cédé la majorité de leur capital. Dès qu’ils en ont eu l’opportunité, ils ont récupéré 100% des parts qu’ils se partagent à 50/50 avec Sébastien. 

En parallèle du rachat à Veepee, Weezevent réalise également l’acquisition de PlayPass, un concurrent belge qu’ils récupèrent à très bon prix puisqu’ils étaient le seul acheteur pendant cette période de crise.

La startup ressort donc de la pandémie plus forte que jamais, l’entreprise qui a toujours pu afficher la rentabilité depuis 2012, fait l’exploit en 2021 de doubler son chiffre d’affaires par rapport à 2019 (2020 étant une année sous cloche) tout en rendant rentable les activités de PlayPass.  

La startup passe donc d’une entreprise franco-française, à un acteur qui réalise désormais la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger (contre 95% en France auparavant). 

Aujourd’hui, Weezevent peut se targuer de réaliser plus de 250 millions de chiffre d’affaires avec 150 salariés dans 6 bureaux. " L’ambition maintenant, c’est de faire un leader européen ".

La liberté comme moteur de l’entrepreneuriat

S’il existait un petit manuel de l’entrepreneur, Weezevent se ferait un devoir de n’en suivre aucun conseil. En effet, Pierre-Henri assume complètement de s’éloigner des schémas habituels pour identifier son propre chemin, celui dans lequel il s’épanouit depuis plus de quinze ans.

Parce qu’il a fallu une décennie et demie, avant que la startup commence à s’intéresser à une croissance en dehors de la France, là où de nombreux acteurs seraient partis à la conquête du monde bien avant. 

" On a décidé d’être très fort sur un petit territoire avant de s’exporter. On n’a pas envie d’être un petit acteur dans 50 pays. J’ai d’ailleurs vu des cartes sur le business plan de concurrent où il y avait presque une croix rouge sur la France tant nous avons une position forte ici. De la même manière, on ne se positionne pas sur les États-Unis. On a plutôt l’ambition de créer un très gros acteur européen, et très solide. On préfère être dans cette Union européenne aussi parce qu’il y a une notion de maîtrise : on a une même monnaie, une même législation… c’est un peu plus rationnel d’un point de vue développement ". 

Weezevent est donc un acteur atypique à tous les niveaux. Elles ne sont pas nombreuses les entreprises innovantes qui ont trouvé un modèle de rentabilité, qui peuvent devenir un leader européen, racheter des concurrents étrangers, et générer un chiffre d’affaires conséquent.

" Et tout cela en préservant ce qui est souvent le moteur de l’entrepreneur : la liberté. Parce que dès que tu lèves des fonds, finalement tu viens te chercher un patron qui peut bloquer des décisions et à qui tu dois demander l’autorisation. Tu es déjà dans une relation parentale. Et au fond, moi ce qui m’anime, c’est vraiment d’être libre ". 

Sans surprise, Pierre-Henri regrette l’importance donnée à la levée de fonds dans l'écosystème des startups françaises.

" C’est le cas du Next40 par exemple où le critère d’entrée est le montant de ta levée de fonds. Je trouve ça tellement réducteur. Quand j’étais petit, j’adorais le Monopoly… mais si tu peux jouer en lançant trois fois le dé, je trouve qu’il y a moins de mérite que de gagner en respectant bien les règles. Pas que tu triches quand tu lèves des fonds… mais créer une entreprise implique de créer de la valeur, c’est d’ailleurs son objet social. Le jeu initial, c’est de dire qu’avec un euro, je peux en créer plus. Si tu lèves un euro et que tu refais un euro… tu ne fais rien, tu n’as pas créé de valeur, tu n’as pas créé d’emploi. Je suis beaucoup plus admiratif d’un boulanger qui a un résultat positif à la fin de l’année et qui finance deux ou trois emplois que quelqu’un qui a levé 100 millions et qui en perd 50 par an ". 

Il viendra adoucir ses propos en explicitant qu’il serait le premier à applaudir si un entrepreneur perd de l’argent pendant plusieurs années avant de créer quelque chose d’extraordinaire, mais que trop souvent on vient glorifier la levée plutôt que la création de valeur. 

" Pour prendre l’exemple d’un Eventbrite, je trouve leur produit extraordinaire et ce qu’ils ont fait est assez bluffant. Mais quand je regarde de ce point de vue là, je ne rougis pas devant eux. Quand on a levé 1 million d’euros, Eventbrite en a levé 10. Ensuite, on n’a plus jamais levé de fonds. De leur côté, ils ont levé 40, puis 100, puis 400, jusqu’à leur introduction en Bourse. Aujourd'hui, Eventbrite vaut plus cher que nous. Mais si tu regardes les chiffres, en cumulé depuis le début, on a gagné beaucoup plus d'argent qu’eux. Et c'est une boîte qui a perdu 50 % de sa valeur cette année en bourse quand aujourd'hui on a doublé de taille, encore cette année on a de la rentabilité, de la croissance, etc. On a un modèle qui a été plus long, mais qui est beaucoup plus solide ".