" Si demain, on arrêtait la consommation de viande dans le monde entier, on viendrait soudainement libérer 75 % de la surface agricole ". Un argument émis par Guillaume Dubois, CEO de Happyvore, qui prend sa place dans le débat public.

Un Français consomme en moyenne 84,6 kilogrammes de viande par an. Par comparaison, le marché des alternatives à la viande ne pèse que très peu dans la balance aujourd’hui. Guillaume Dubois l’estime à 1% des ventes de viande.

Un marché de la viande estimé à 200 millions d’euros, dont la startup Happyvore souhaite s’accaparer une belle part, tout en cherchant à augmenter considérablement la taille du gâteau.

La stratégie du naïf

Rien ne semblait destiner Guillaume Dubois à s’attaquer à ce marché, pour qui les alternatives étaient inconnues. Il n’en consomme d’ailleurs que très peu lui-même, puisqu’il mangeait -et mange encore- de la viande (même s’il avoue que sa consommation s’amenuise progressivement).

Passé par le groupe PSA Peugeot-Citroën puis McKinsey, il a lancé Happyvore avec Cédric Meston en septembre 2019 (sous le nom Les Nouveaux Fermiers). Si le choix pouvait sembler surprenant, il retrace pour Maddyness le parcours qui l’a amené à cette création d’entreprise.

" J'ai toujours été passionné par la problématique environnementale. Je pense que c’est l’un des grands défis de notre siècle. J'ai tout d’abord travaillé dans l'automobile parce que le transport représente aussi une grande partie des émissions. J’étais chargé de travailler sur la réduction d'émission de CO2 des véhicules. Puis, un passage dans le conseil en stratégie avec notamment des sujets environnementaux ". S’il ne renie aucune de ses expériences, il y fera un constat qui le poussera à se lancer dans l’entrepreneuriat : le monde économique actuel a très peu d’incitations à se diriger vers un monde moins carboné.

Pour Guillaume Dubois, les choses sont différentes. Lui veut apporter sa pierre à l’édifice, et cela lui semble plus facile de lancer quelque chose de complètement nouveau où le cœur du business sera directement lié à son impact environnemental. Il se met alors en quête d’une idée. Il creuse du côté du transport et de l’énergie, mais il s’aperçoit qu’il y a déjà de nombreuses initiatives dans le domaine. Le monde de l’alimentation lui semble plus prometteur.

Ce qui lui plaît dans ce secteur c’est que, a contrario du transport ou de l’énergie, il s’agit d’un domaine où, chaque jour, un individu peut avoir un impact positif. " On choisit ce que l’on mange à chaque repas, et je trouve que c’est un peu comme un bulletin de vote. Donc, à titre individuel, changer son alimentation est la première chose que l’on peut faire pour avoir un impact ".

À ce moment-là, il échange avec des amis végétariens et la discussion arrive sur les alternatives à la viande. L’expérience de Guillaume n’est pas très concluante : l’offre existante lui semble soit peu attractive gustativement parlant, soit trop gras. Il découvre aussi que le marché de la viande est responsable de 15% des émissions de carbone dans le monde, selon un rapport de la FAO. Un vrai challenge qu’il se sent de prendre à bras le corps. Il décide donc de se lancer sur le marché avec deux objectifs : le goût et la santé. Il veut que ses produits soient bons pour la santé, en plus d’être délicieux.

Il décide alors de s’entourer d’ingénieurs agronomes pour élaborer un steak végétal. Les premières tentatives sont loin d’être concluantes, mais l’équipe arrive petit à petit à construire un produit qui répond à leurs nombreuses exigences. Les produits Happyvore se sont construits avec une liste d’interdits : pas d’huile de coco, pas d’huile de palme, pas d’additifs inutiles, pas trop de sel.

Guillaume Dubois insiste pourtant bien sur le fait qu’il n’y connaissait rien en se lançant. " En fait, je trouve que ça fonctionne très bien d'arriver avec un regard un peu naïf au début, mais de s'entourer très vite d’une équipe d’experts. On est arrivé avec un regard neuf, mais il y a de nombreuses choses qui ne s’inventent pas comme la qualité industrielle ou la R&D. On a donc recruté des personnes qui connaissent très bien ce monde de l’agroalimentaire ". Aujourd’hui, Happyvore a dépassé les 60 collaborateurs pour renforcer toutes les connaissances des cofondateurs.

Le goût de la viande

La marque est pourtant souvent attaquée, à la fois par des personnes qui mangent de la viande et ceux qui n’en mangent pas. En effet, Happyvore fait partie des entreprises qui proposent les similicarnés les plus proches de la chair animale.

Le questionnement est le suivant : si quelqu’un ne veut pas manger de viande, pourquoi aurait-il besoin d’un produit qui y ressemble en tout point ? Les motivations à changer ses habitudes sont différentes selon les consommateurs (dégoût, souffrance animale, réduction de l’impact environnemental ou une question de santé).

" Est-ce que l’avenir du marché doit être du végétal qui ressemble à de la viande ? Je ne sais pas. On a justement tenté de faire des produits qui ne ressemblaient pas à de la viande, et ça marchait moins bien. Je pense qu’il y a une histoire de tradition et d’habitudes alimentaires : on a beaucoup de recettes culinaires dans notre patrimoine auxquelles on est habitué. "

Les clients d’Happyvore se désignent d’ailleurs principalement comme étant flexitariens (qui constituent 34% de la population française) : ils cherchent à réduire la viande, mais n’ont pas forcément envie d’arrêter d’en consommer.

Bientôt moins cher que la viande ?

Questionné sur le prix, il concède que les produits Happyvore sont aujourd’hui plus chers, de l’ordre de 20 à 25% plus cher que de la viande classique. " Mais à terme, on sera moins cher, assure Guillaume Dubois à Maddyness. C’est plus efficace en termes de rendement, de faire du végétal que de faire de la viande. Pour faire un gramme de protéines animales, un bovin va consommer dix grammes de protéines végétales. Chez Happyvore, avec un gramme de végétal, nous créons un gramme de viande végétale. En revanche, nous n’avons pas du tout les mêmes effets d’échelle que l’industrie de la viande. Pas encore. Mais dans cinq ans, on est censés être moins cher que la viande. On fait tout pour ! ".