Pour améliorer la représentation des femmes dans la deeptech, leur ouvrir des portes et leur permettre de trouver des financements, le Conseil européen de l’innovation a lancé le “Women Leadership Program”, dont Marie-Elisabeth Rusling est le mentor. Après une première cohorte de 50 participantes, une deuxième a réuni cette fois-ci 84 femmes, dont quatre françaises, entre mai et novembre 2022. Une troisième cohorte doit lui succéder au printemps 2023.

Ce programme est ouvert aux chercheuses qui veulent entrer dans le monde de l'entrepreneuriat, aux dirigeantes de startups qui souhaitent étendre leur réseau et leurs compétences, ainsi qu’aux femmes au sein de PME s’attaquant à de nouveaux défis, comme l'expansion à l’international. Marie-Elisabeth Rusling explique plus en détail sa raison d’être et livre sa vision de la tech.

À quoi sert concrètement le Women Leadership Program ?

Marie-Elisabeth Rusling : Il existe déjà des centaines de programmes de développement des compétences de leadership. L’objectif ici est de parvenir à accroître véritablement la représentation des femmes dans la tech. Les femmes manquent d’accès à des financements et des mentors. Nous voulons former une nouvelle génération de leaders qui disposera de ces atouts.

Ce programme permet d’intégrer une communauté, de rencontrer des experts, des investisseurs qui peuvent ouvrir sur de nouveaux réseaux et faciliter des rencontres. Les candidates peuvent participer à des ateliers, pour améliorer le pitch de leur projet par exemple. Elles bénéficient de formations spécifiques et d’un programme personnalisé de mentorat et de coaching d’entreprise.

Le “Women Leadership Program” vient compléter le programme “Women TechEU” de l’EIC, qui permet de son côté d’obtenir un financement. Au sein de l’accélérateur EIC, seules 20 % de femmes pitchent leur projet. Nous avons pour objectif d’atteindre les 40 %.

Quelle est la place des femmes aujourd'hui dans la deep tech européenne ?

M-E.R : Elle reste insuffisante. Dans beaucoup de pays, nous pouvons observer un équilibre lorsque femmes et hommes sont diplômés au niveau Master, avant que ne se produise un phénomène d’attrition chez les femmes quand elles entrent dans le monde de l’entreprise. Il y a notamment très peu de femmes CTO (chief technical officer, ndlr).

Nous savons pourtant bien que la diversité au sein de l’entreprise, au-delà même de la diversité de genre, est un facteur de performance. Les femmes peuvent notamment avoir une autre approche sur les enjeux ESG ou la dimension éthique du business.

Comment procéder pour que les femmes soient mieux représentées?

M-E.R : Il faut notamment s’interroger sur les biais qui subsistent dans le recrutement. Les femmes subissent des freins à des moments bien identifiés : lors de l’intégration dans l’entreprise et lorsqu’elles reviennent d’un congé maternité.

Les notions d’inclusion et de diversité ne doivent pas être parquées dans les ressources humaines des entreprises. Elles doivent aussi être incarnées par les managers. C’est toute une culture d’entreprise à faire évoluer, pour que les femmes se sentent incluses.

Il y a également des biais chez les investisseurs, en immense majorité des hommes. Les équipes mixtes ou les projets gérés par des femmes n’obtiennent qu’une toute petite portion des financements. Il est crucial d’accroître le nombre de femmes parmi les investisseurs pour faire évoluer les perceptions.

Il faut aussi aller parler aux jeunes femmes dans les universités, qui n’ont pas forcément conscience de ce qu’elles peuvent apporter à la deeptech. Plus jeunes, dès l’école, les filles auraient besoin d’être inspirées par des modèles, pour modifier leur rapport aux sciences.

Comment expliquez-vous qu’autant de femmes soient à d’importants postes de représentation en France (Roxanne Varza, directrice de Station F, Clara Chappaz, directrice de la French Tech…) et qu’on en retrouve si peu parmi les dirigeantes de startups?

Dans ce type d’organisations (Station F, French Tech…, ndlr), il y a une volonté très politique de faire la démonstration d’un certain nombre de valeurs importantes en France, comme l’égalité. Au niveau politique comme financier, des initiatives ont permis depuis 10 ou 20 ans de créer un réseau de femmes à des postes de direction. Dans le domaine scientifique, cela prend plus de temps, aussi parce que moins de femmes s’orientent à la base vers les sciences. Mais la France est plutôt à l’avant-garde sur leur représentation en Europe.

À quels grands enjeux sera confrontée la tech européenne en 2023 ?

M-E.R : Le grand sujet systémique reste sûrement la fragmentation de nos marchés, le problème de la masse critique que nous pouvons rencontrer en tant qu’européen. Il faut favoriser des échanges quotidiens entre nos différents écosystèmes. Un autre grand défi concerne le recrutement des talents, notamment chez les femmes, puis la gestion et la rétention de ses talents.

Sur le plan macroéconomique, après une année faste - 2021 - puis une année plus compliquée - 2022 -, les startups vont devoir faire face à des investisseurs plus prudents, qui devraient regarder de plus près le potentiel de rentabilité de leurs investissements.

L’année 2022 a été globalement difficile. Comment expliquez-vous malgré tout l’ascension de la tech française, qui a battu son record l’an passé avec 13,5 milliards d’euros levés par les startups ?

M-E.R : La French Tech est largement promue, avec un engagement fidèle en sa faveur au niveau politique. Des choix clairs ont été faits sur l’hydrogène, la fabrique de licornes… Tout ceci infuse l’écosystème et crée une dynamique porteuse. La French Tech profite de structures bien en place et d’importants relais.