26 juillet 2022
26 juillet 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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AFemaleAgency : "Les startups démarrent tout juste sur les sujets de gouvernance"

Début juin 2022, l’IFA, Roland Berger et France Digitale publiaient une étude pointant le manque de diversité et de parité dans les conseils stratégiques des scaleups. Alexia Boeckx et Sarah Huet, fondatrices d’AFemaleAgency détaillent pourquoi il est important d’agir dès maintenant sur ce sujet.
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Alexia Boeckx (gauche) et Sarah Huet (droite), fondatrices d'AFemaleAgency

L’étude réalisée par Roland Berger montre une absence de parité au sein des organes de gouvernance des scaleups européennes, puisqu’on y compte seulement 20 % de femmes. Quel regard portez-vous sur ces chiffres à travers votre expérience ?

Sarah Huet : Chez AFemaleAgency, nous accompagnons les femmes dans la construction de leur carrière. Elles entrent dans une communauté, elles développent leur réseau. Placer des femmes à des postes à haute responsabilité dans les entreprises, c’est aussi leur donner la possibilité de pouvoir infléchir les biais existants dans les entreprises. Quand elles entrent dans une instance de gouvernance, elles ne vont pas seulement participer à la stratégie de l’entreprise mais vont aller plus loin. Aujourd’hui, on compte 20 % de femmes dans les instances de gouvernance et 18 % aux postes de C-level, c’est désolant.

La première chose est d’essayer de comprendre ce qu’est la gouvernance dans une entreprise. Les startups sont encore en phase de démarrage sur ces sujets. C’est aussi pour cette raison qu’il est important de s’emparer de ce sujet dès maintenant.

Alexia Boeckx : Au-delà de la féminisation, le premier problème est le manque d’organisation et de professionnalisme des startups et des scaleups concernant leur gouvernance. Notre objectif est d’apporter de l’information et d’aider les femmes à comprendre ce sujet, afin d’avoir un impact très concret sur leur carrière.

Je rejoins Sarah sur le besoin d’agir maintenant afin d’éviter que, dans 10 ans, la gouvernance des startups soit plus structurée, mais que les femmes n’y aient pas la place qu’elles méritent.

Vous avez suivi une formation avec l’EM Lyon et le cabinet HeR Value. Quels sont les principaux enseignements que vous en avez retirés ?

S. H. : Personnellement, je siège dans des boards depuis sept ans. Il est important de comprendre la posture à avoir selon les différents types de structure qu’on intègre, car les attentes ne sont pas les mêmes dans une startup que dans une société du CAC40, par exemple.

La formation a duré 63 heures au cours desquelles nous avons balayé l’ensemble des sujets concernant la gouvernance. Cela nous a permis de mieux comprendre les entreprises et leurs besoins. On s’est également rendu compte qu’il est encore perçu comme complexe de trouver un administrateur indépendant, encore plus si on cherche une femme. Malgré ce que disent les entreprises, nous avons 160 talents dans notre pipe qui veulent exercer ces missions.

Nous étions aussi les plus jeunes participantes, cela souligne qu’aujourd’hui, pour briguer de tels mandats, il faut encore avoir 25 ans d’entreprise derrière soi. Or, ce ne sont pas forcément les talents attendus par les startups et les scaleups. Il faut aussi modifier le prisme dans lequel on travaille avec les jeunes et les femmes pour leur montrer qu’elles ont un rôle à jouer à ce niveau.

Nous envisageons de développer nos propres formations avec des partenaires en prenant en compte cette dimension technologique des startups et des scaleups qui ont une vélocité et des attentes juridiques et financières différentes. 

A. B. : C’est vrai, les formations sont très axées sur la gouvernance dans les groupes du CAC40 et ne prennent pas forcément en compte les réalités de l’écosystème startups. Mais les startups devraient néanmoins s’inspirer de ce que ces sociétés ont déjà mis en place en termes de formalisme et de structuration de la gouvernance en l’adaptant à leurs propres besoins.

Pensez-vous que ce type de formation est nécessaire pour les femmes et les entrepreneurs ? 

S. H. : On remarque que, dans certains organes de gouvernance, les intérêts personnels sont encore malheureusement trop souvent privilégiés. Il n’y a pas assez de membres indépendants, alors qu’ils apportent un véritable soutien aux entreprises sur le développement de leur stratégie et leur efficacité. En ce sens, la formation sur la gouvernance peut permettre à ces talents de prendre conscience de leur valeur en tant qu'administrateurs indépendants, talents qui auront aussi toute la connaissance des enjeux liés à cette mission en étant formés.

Vous avez évoqué le cas des jeunes femmes qui ne se projettent peut-être pas assez dans ce type de fonction. Est-ce que la formation peut jouer le rôle de tremplin selon vous ?

A. B. : Les femmes sont extrêmement demandeuses de ce type de formation. Elles font parfois face à un problème de posture et de confiance même lorsqu’elles ont déjà atteint des postes à haut niveau. Elles entrent donc plus facilement dans des démarches d’apprentissage avant de prendre une nouvelle mission.

C’est important de parler de ces sujets à toutes les femmes, même les plus jeunes qui ne brigueront pas ce type de mission avant trois ou quatre ans. Il faut éduquer et former le plus tôt possible sur ces sujets, afin d’éviter de se retrouver freinée par ce manque de connaissance.

Les fondateurs de startups et de scaleups doivent eux aussi être formés à ces sujets, pour développer une démarche plus professionnelle et apprendre à bien s’entourer. 

S. H. : Les jeunes femmes sont plus audacieuses, elles sont déjà plus présentes dans l'écosystème tech. On travaille avec nos talents avant leur placement, pendant et après. Notre objectif est de les faire grandir avec nous, tout au long de leur carrière.

De nombreuses femmes sont déjà conquises par les sujets de gouvernance, mais nous devons convaincre les autres de son importance. Les médias jouent un rôle en ce sens. La réalisation de podcast qui donnent la parole à ces femmes est aussi très positive.

La situation a du mal à évoluer comme en témoignent les chiffres de l’étude. Faut-il imposer des quotas ou les entreprises ont-elles déjà pris conscience de l’enjeu ?

A. B. : Nous ne sommes plus dans l’évangélisation, mais dans l’action. Cependant, il faut des impulsions plus fortes comme des pactes ou des engagements législatifs. La loi Copé-Zimmermann de 2011 [qui impose 40 % de femmes dans les conseils d’administration, N.D.L.R.] a permis à la France de devenir la meilleure élève de l’Europe en la matière. Quoi que l’on en pense, cela prouve que les quotas fonctionnent et qu’à un moment donné, ils sont nécessaires afin de rétablir artificiellement une situation tant que celle-ci n’est pas naturelle. Si les sociétés ne sont pas contraintes, elles mettront beaucoup plus de temps à traiter le sujet.

S. H. : Le pacte parité, tout comme la charte Sista, contribuent à tracer la route, mais il faut créer un cadre législatif. La première initiative de Clara Chappaz a été le pacte parité, qui fixe l'objectif de 40 % de femmes dans les boards d’ici à 2028. L'écosystème tech est petit, mais il a un potentiel énorme et il a la capacité de transformer d’autres secteurs, car il travaille avec de grandes entreprises.

Les LPs s’emparent aussi du sujet. Quand les entreprises expliquent travailler avec nous, c’est un argument qui rassure aussi les fonds d’investissement.