Maddyness se pose la question avec Nazim Chibane de la future mouture du marché du travail dans les prochains mois. Fondateur de Klara, startup spécialisée dans le management des talents, il revient dans nos colonnes sur sa vision du secteur et les enseignements que peuvent tirer les entrepreneurs de la situation actuelle.

Que penses-tu du marché de l'emploi, quelles tendances vois-tu ? 

Pour démarrer, ce qui est important c’est de comprendre que dans l’expression : “le marché de l’emploi” le plus important c’est le terme de “marché”. Le marché du travail répond aux mêmes règles qui régissent tous les marchés capitalistes : la loi de l’offre et de la demande.

Nous sortons d’une période où la demande en particulier pour les startups a explosé. Les explications sont multiples : une pénurie de profils Tech / Digital, des levées de fonds conséquentes avec pour objet un investissement principal : le recrutement. Comme si c’était une fin en soi contre un investissement plus massif dans leur technologie ou dans leur marque. Combien de fois lit-on “on lève 100 millions pour recruter 500 personnes en 12 mois” dans les articles de Maddyness annonçant les dernières levées de fonds ? (comme par exemple cette levée sur Maddyness)

Le marché de l’emploi dans les startups est donc intimement lié à la capacité d’investissement de ces dernières. Le ralentissement du marché de l’investissement ces 6 derniers mois a donc forcément un contrecoup (à rebours) sur le marché de l’emploi. Ces derniers mois, nous avons justement vu des startups comme Klarna (ndlr : pour en savoir plus, un article de Maddyness sur le sujet) ou encore Gorillas (groupe qui a racheté Frichti en début d’année) qui ont annoncé respectivement 10 % et 300 suppressions de postes, tout un symbole. 

Au cours du mois de mai, nous pouvons aussi rappeler que 60 plans sociaux ont eu lieu dans le secteur de la tech, contre à peine 40 sur toute l'année 2021. 

Nous pouvons aussi citer cet exemple d’une scale up française du FT 120 avec une superbe notoriété qui a levé plusieurs dizaines de millions d’euros et qui a également annoncé le licenciement de 10 % de ses effectifs ou encore SnapChat qui vient d’annoncer le licenciement d’également 10 % (à nouveau) de ses effectifs autant que la fermeture de Zenly, pourtant un des plus beaux exit en France de ces dernières années. 

À mon sens, les prochains mois devraient simplement rappeler à tout le monde ce que le marché de l’emploi était avant ces deux dernières années d’euphorie dans l’écosystème.

"À mon sens, les prochains mois devraient simplement rappeler à tout le monde ce que le marché de l’emploi était avant ces deux dernières années d’euphorie dans l’écosystème"

Si je me lance dans une prévision, j’imagine qu'il va y avoir une normalisation sur le marché très prochainement même si cela n'empêchera toutefois pas une tension conjoncturelle sur des métiers tels que le développement informatique ou le product management.

Après une forte hausse des salaires et un équilibre devenu nettement en faveur des collaborateurs en 2020/21, le marché du travail dans notre écosystème reviendra-t-il dans sa situation préexistante selon toi ou est-ce un nouveau paradigme ? 

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il est très difficile de revenir en arrière sur les acquis sociaux, qu’ils soient réglementaires ou la résultante d’une tendance.

Le débat n’a pas évolué depuis 20 ans et répond à la même logique de marché :

  1. les profils que les startups recherchent sont rares : donc chers,
  2. les profils que les startups recherchent sont des bons profils (écoles, expériences, etc.) : donc chers,
  3. les profils que les startups recherchent sont citadins voire métropolitains : donc chers.

(ndlr : le lien vers l'étude dont est extraite ce tableau, de la Licorne Society, est disponible ici)

Les startups sont-elles toujours à la mode sur le marché ? 

Quand j’ai commencé à travailler (il y a une dizaine d’années maintenant), la voie royale des stages, alternances et premier job correspondait à de grandes entreprises avec des parcours de carrière sur 30 ans. Cela apparaissait comme une voie offrant sécurité de l’emploi et évolution de carrière.

Je pense qu’aujourd’hui il y a une vraie normalisation des parcours de carrière en startup. Des jeunes diplômés considèrent désormais débuter par une startup comme étant la meilleure option pour eux et pour leur carrière.

"Les grands groupes ont beaucoup plus de difficultés à se rendre “sexy” sur le marché du travail que les startups"

Je discute quotidiennement avec des DRH de startup ou de grands groupes et en toute honnêteté : les grands groupes ont beaucoup plus de difficultés à se rendre “sexy” sur le marché du travail que les startups.

Il y a aussi l’évolution de la société : les gens veulent changer de job / de parcours / d’ambition très souvent et ils sont donc à la recherche de flexibilité. Je pense qu’il y a une vraie dimension : “je suis de passage” quand je suis dans une startup VS un grand groupe et que ce nomadisme, cette volonté de ne plus se fixer est une nouvelle norme dans le marché du travail.

Comment y répondre quand on est entrepreneur ? 

Quand on est un entrepreneur, on perd facilement de vue les préoccupations des collaborateurs : des locaux sympas, une aventure humaine, une belle culture d’entreprise… On a l’impression que l’on peut travailler de la même manière dans n’importe quelle entreprise sur n’importe quel secteur mais le problème, c’est qu’un entrepreneur n’est pas un collaborateur comme un autre.

"Le problème, c’est qu’un entrepreneur n’est pas un collaborateur comme un autre"

En tant qu’entrepreneur, nous devons nous rappeler que tout collaborateur est sensible à son environnement de travail et à des avantages différents de ceux que nous trouvons évidents. Pour moi “donner envie”, c’est d'abord travailler sur l’interne afin que cela soit visible pour l’externe et comprendre les situations individuelles de chacun pour construire un tout efficace.

Récemment, un candidat sur lequel nous étions en concurrence avec des grandes startups disposant de moyens nettement plus importants que les nôtres a choisi de rejoindre Klara. Pourquoi ? Voici son témoignage : Au travers de nos différents échanges, j'ai ressenti une vraie énergie positive et un fort esprit de famille qui n'ont fait que faciliter mon choix”, tout est dit.

Il y a évidemment une liste de bonnes pratiques que je peux partager (et qui pourront faire l’objet de nouveaux articles) :

  • travailler sur sa marque employeur, il n’y a rien de plus important, 
  • communiquer : sur les arrivées, les événements d’équipe voire les départs, tout est bon à prendre, 
  • mettre en place de la cooptation, un super moyen d’incentiver ses collaborateurs.