Instinctivement, on comprend qu’aux lendemains d’une terrible pandémie qui a ravagé bien des secteurs de notre économie les TPME (très petites et moyennes entreprises) sont, pour beaucoup, en grandes difficultés financières et que bon nombre d’entre elles connaîtront une faillite probable ou à tout le moins de grosses difficultés à rembourser leurs prêts. De même, intuitivement on pressent que les taux de défaut affichés sur les plateformes de crowdlending ne sont pas crédibles.

Les statistiques présentées sur les plateformes de crowdlending sont, la plupart du temps, de la pure poudre de perlimpinpin répondant de manière fallacieuse à l’obligation officielle (autorités de surveillance prudentielle) d’informer et à la nécessité commerciale de rassurer la foule des petits investisseurs. En outre, les prêts aux TPME sont objectivement bien trop risqués pour les particuliers prêteurs. Une rémunération au taux nominal annuel de 8 ou 10 % (*) ne compense pas à sa juste valeur, loin de là, le risque réel que courent les petits investisseurs, sans compter l’illiquidité de leur placement.

Communication propagandiste

La communication propagandiste des plateformes consiste à faire gober aux petits prêteurs novices une petite probabilité de perte. Quand un opérateur du financement participatif affiche benoîtement dans la rubrique "statistiques" un taux de défaut de 1,96 %, en fait la valeur qualitative de cette information se situe quelque part entre insignifiante et nulle. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est ni définie, ni contextualisée : ainsi l’information n’est pas comparable et elle ne participera pas à la collection de statistiques publiques régionales et/ou nationales au grand dam des particuliers-prêteurs.

En effet, comment lire le taux de défaut ? Quelle formule de calcul a été choisie ? Le taux de défaut est un terme engendrant maintes confusions. Par exemple s’agit-il d’un taux en montant ou en nombre de projets ? En outre, s’agit-il du taux "réglementaire" (proposé par le régulateur) ou d’un taux mis en place par une association de professionnels du secteur ou encore d’un taux "maison", avec les subtilités propres à la plateforme qui l’affiche ? (**) Le petit prêteur néophyte doit bien se rendre compte que la définition choisie par son intermédiaire financier aura un impact significatif sur son investissement.

Supposons que vous investissiez 3 000 euros répartis sur 5 projets (5 x 600 euros) pour lesquels vous attendez un remboursement mensuel de 15 euros :

  1. L’un d’eux passe en défaut à la moitié du plan de remboursement (soit 300 euros restants) : Taux de défaut en nombre : 1 / 5 = 20 %
    Taux de défaut en montant : 300 € / 3 000 € = 10 %
  2. L’un d’eux passe en défaut à deux échéances de la fin du remboursement (soit 30 €
    restants) :
    Taux de défaut en nombre : 1 / 5 soit 20 %
    Taux de défaut en montant : 30 € / 3 000 € soit 1 %

Pour bien faire, l’investisseur devrait en outre être en mesure de corréler le taux défaut avec le volume d’activité de la plateforme de financement participatif. En effet, dans le ratio, plus le dénominateur s’accroît plus le résultat décroît : si la plateforme augmente sur une courte période le nombre de TPME financées, elle baissera mécaniquement son taux de défaut en nombre.

Exemple : Une plateforme affichant 10 prêts en défaut sur un total de 100 projets a un taux de défaut de 10 %, alors que le mois suivant, si une vingtaine de projets supplémentaires sont financés, ce taux de défaut en nombre passe à 8,3 % (10/120).

Un processus de sélection des entreprises en question

C’est une vicieuse valse à deux temps où, pour être plus présentables en affichant le taux de défaut le plus faible possible, les plateformes sont incitées à une fuite en avant en trouvant toujours plus de TPME emprunteuses et ce faisant elles augmentent également la probabilité qu’un plus grand nombre d’entre elles défaillent momentanément ou définitivement plus tard.  Et c’est paradoxal : dénicher et attirer toujours plus d’emprunteurs incite les plateformes à baisser leurs critères de sélection, ceux-là mêmes sur lesquels elles basent leur réputation de sélectionneurs rigoureux.

Une réputation souvent surfaite : le processus de sélection des TPME à financer n’est pas meilleur que celui des banques ou d’autres institutions financières, les analystes maisons des plateformes ne sont ni mieux formés et diplômés, ni mieux entraînés que les analystes crédit des banques, les plateformes ne sont pas aussi bien outillées que les banques en termes d’accès à des bases de données variées et sophistiquées. Elles n’ont tout simplement pas la puissance financière des banques pour se payer des informations complémentaires qui fassent la différence en matière d’évaluation des risques des TPME emprunteuses.

Et pourtant, elles financent des entreprises que les banques ne veulent pas ou ne veulent plus financer (et pas seulement pour des raisons d’absence ou d’insuffisance de sûretés personnelles, de cautionnements et de garanties tangibles). Pourquoi d’ailleurs les banques se priveraient d’une source de revenus aussi lucrative que l’activité de petits prêts aux petites entreprises, elles qui cherchent aussi par tous les moyens à augmenter leur rentabilité en même temps que leurs sources de revenus ?

En effet, une banque pourrait très bien accorder un crédit de 500 000 euros à une PME subdivisé en un crédit de 400 000 euros à 1,7 % d’intérêt, avec sûretés personnelles et garanties, et un crédit complémentaire de 100 000 euros à 7 ou 8 %, sans garanties exigées.

Pourquoi les banques, d’ailleurs de plus en plus digitalisées, ne se ruent-elles pas sur ce créneau soi- disant rémunérateur des prêts sans garanties ? Qu’ont les plateformes de crowdlending que les banques n’ont pas ? Des informations privilégiées ? De meilleures procédures ? De meilleurs analystes ? De meilleurs coûts d’acquisition de clients ? Que nenni ! À l’opposé pourquoi une PME, rentable, irait-elle chercher un prêt à 7 ou 8 % via le crowdlending quand une banque peut lui proposer 1,5 % ?

Il est fallacieux d’argumenter en se prévalant du lien, soi-disant évident, de cause à effet entre une procédure de sélection extrêmement rigoureuse et un taux de défaut extrêmement faible. Le taux de défaut est un terme autant confus que manipulable (cela explique en partie la très forte disparité des taux affichés sur les plateformes : de 0 % à 30 % !) et la procédure de sélection soi-disant rigoureuse n’a qu’une valeur déclarative, c’est-à-dire qu’elle n’est pratiquement jamais démontrée, de manière objective et concrète, par la plateforme de crowdlending.

Carl-Alexandre Robyn, ingénieur-conseil en évaluation de startups, associé-fondateur du cabinet Valoro

(*) Attention : il s’agit d’un taux annuel appliqué non pas sur le montant total prêté mais sur le montant restant dû après chaque tranche de remboursement. Donc, le prêteur engageant 1000 euros remboursable en 1 année au taux nominal de 10%, ne va pas récupérer 1100 euros mais 1086 euros ; soit une rémunération annuelle réelle de 8,6%.
(**) Le taux "réglementaire" doit indiquer le taux de projets (TPME) qui ont un retard de
remboursement de plus de 60 jours. S’il s’agit du taux de défaut en montant : on utilise le ratio capital restant dû des projets en retard de remboursement depuis 60 jours / capital restant dû de tous les prêts en cours. S’il s’agit du taux de défaut en nombre on emploie le ratio nombre de projets en retard de remboursement depuis 60 jours / nombre total de projets en cours.

Le taux "professionnel" fonctionne selon le même principe mais avec quelques nuances le rapprochant davantage de la réalité : ici, la formule considère les défauts de plus de 90 jours ou de plus de 180 jours (cela dépend de l’association des professionnels du secteur) ; un retard de 180 jours a une plus grande probabilité de se transfigurer en perte. De plus, le taux ne se focalise pas exclusivement sur le capital restant dû mais prend en compte le capital emprunté et le capital remboursé. Enfin, le taux est calculé de façon globale mais également par année, ce qui permet de suivre son évolution dans le temps.