Tribunes par Matthieu Langeard
16 mars 2020
16 mars 2020
Temps de lecture : 1 minute
1 min
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Tous influencés. Comment réduire son influençabilité et rester libre ?

La société de services Cambridge Analytica a travaillé pour Trump pendant sa campagne électorale. Dans les États charnières, 70 000 électeurs « influençables » ont été détectés grâce à l’analyse de leurs données Facebook. Ils ont été individuellement bombardés de propagande personnalisée, faisant basculer l’élection. Même travail pour le Brexit, même agence d’intox et même efficacité. Qu’est-ce donc que l’influençabilité, ce nouvel eldorado économique et politique ? Comment l’entrepreneur·e et son équipe peuvent-ils piloter leur influençabilité pour rester lucides dans leurs processus de décisions ?
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Republication du 11 septembre 2019

Le manque de connaissance de soi surexpose au doute, à l’hésitation et à l’opinion des autres. Certains font le choix inconscient de se marginaliser, d’autres de se suradapter. L’influençable isolé est vulnérable à cause de son manque de repères et de soutiens. L’influençable assimilé est dans les codes du club auquel il adhère, au point de se perdre lui-même. Entre ces deux styles d’influençabilité, évolutifs, une multitude de nuances. Selon le contexte, personne n’est parfaitement autonome, ni complètement influençable. Une influençabilité modérée est d’ailleurs nécessaire au processus d’amélioration continue. L’élève se fait pâte à modeler entre les mains du bon maître, sinon il n’apprend rien ; ainsi du collaborateur avec le manager expérimenté, du client avec le coach doué et de l’entrepreneur avec l’actionnaire compétent. Reste à piloter une influençabilité assumée et mesurée.

10 firewalls permettent de tenir à distances les influenceurs abusifs, digitaux ou présentiels. Issus d’un groupe de recherche pluridisciplinaire, ces pares-feux garantissent aux équipiers de l’aventure entrepreneuriale plus d’autonomie et d’objectivité dans leurs processus de décisions (leadership), et moins d’exposition aux comportements manipulateurs (followship). Chacun, à son niveau, a des dizaines de décisions à prendre tous les jours. Les biais cognitifs sont les brèches par lesquelles s’engouffre l’intox. Avec un autre coach, Alexis Bienvenu, nous avons animé pendant un an un processus d’intelligence collective associant entrepreneurs, capital-investisseurs et consultants. Nous avons retourné les biais cognitifs des opérateurs de marchés, issus de la Finance comportementale, pour en faire 10 compétences utiles aux décideurs (tous décideurs). Cette approche est utilisée pour du diagnostic et coaching d’équipes.

Ces biais cognitifs par lesquelles s’engouffre l’intox

Phénomène rarissime, des millions de dollars ont été investis depuis 30 ans par les investisseurs en recherche fondamentale liée aux sciences humaines. L’objectif, assez guerrier, est d’analyser et de tirer profit des fragilités humaines sur les marchés financiers. À la croisée des statistiques et de la psychologie, la Finance comportementale devient une mine d’information sur les biais cognitifs dans les processus de décision. Par le manque d’objectivité, chacun d’eux sur-expose à la manipulation de l’information par des influenceurs internes ou externes, en situation de conflit relationnel ouvert ou de stratégie furtive.

Au-delà du mimétisme, le comportement moutonnier vient du caractère commun des informations disponibles. Les groupes d’individus issus des mêmes écoles, faisant les mêmes activités, ayant les mêmes lectures, etc. baignent dans les mêmes données, sur la base desquelles ils tendent à prendre les mêmes décisions, parfois irrationnelles. Le comportement moutonnier est principalement dû à la peur de la marginalisation et de la solitude : " Mieux vaut avoir tort ensemble, que raison seul " Avec l’aversion aux pertes, les risques sont systématiquement sur-évalués et les opportunités sous-évaluées.

En cas de problème, le biais d’irresponsabilité génère la négation, par le décideur, des faits et de ses responsabilités. Il accuse les autres, le marché, la météo, l’État, etc. Il souffre d’une immunité à l’erreur. L’équipier (dirigeant ou non) se croit à l'origine de ses réussites et pas de ses échecs. On parle alors d’un biais d’attribution (de la cause). La déresponsabilisation chronique révèle un manque masqué de confiance en soi. La fragilité est interdite et menaçante. Le biais de statu quo bloque la décision et provoque l’immobilisme : la nouveauté est systématiquement considérée comme risquée. Cette fragilité se caractérise par la résistance au changement. Quand la décision du récepteur de l’information est biaisée par la façon dont les données sont présentées et formulées, c’est l’effet de cadrage.

L’excès ou défaut de confiance est fréquent chez les décideurs. Il s’active plus ou moins selon le contexte. L’optimisme, ou le pessimisme, s’opposent au réalisme. L’équipier à la certitude que les risques sont toujours pour les autres, ou toujours pour lui. Il sur-valorise ou sous-valorise ses capacités, qualités et moyens, et ceux de l’équipe. Statistiquement, les moins compétents dans un domaine ont tendance à se sur-estimer, alors que les plus compétents vont plutôt se sous-estimer. Les uns comme les autres en sont fragilisés.

Quand le décideur ne s’intéresse qu’aux informations qui corroborent, confirment ses convictions, c’est le biais de confirmation. Il évite les options pour lesquelles il manque d'information au lieu de se documenter. Le biais d’inconscience, ou biais majeur génère la tendance à ne pas percevoir les biais cognitifs à l'œuvre dans les décisions. Le décideur manque de curiosité, d’honnêteté et de courage introspectifs.

10 firewalls pour résister à l’influence abusive

Certaines compétences douces (soft skills) sont à la fois pares-feux contre l’influence, fusées éclairantes pour l’analyse de l’autonomie intellectuelle et émotionnelle dans une équipe et programme de formation et de coaching (référentiel de compétences). L’influençabilité est un phénomène complexe, la manipulation un art. Il serait illusoire et simpliste de mettre en face de chaque biais une solution directe et définitive. Face à la complexité humaine, évolutive, mieux vaut un dispositif qui soit, lui aussi, complexe et évolutif : un réseau de compétences. Un maillage assure toujours plus de sécurité contre les intrusions.

Si la discipline est nécessaire au débutant, l’intuition et les routines positives liées à l’expérience prennent ensuite le relais pour activer les firewalls par lots. 10 compétences favorisent l’objectivité dans les processus de décision.  Elles développent la résilience (retour à l’état initial après la crise) voire la croissance post-traumatique (amélioration de l’état initial grâce à la crise). Ces pares-feux font mieux que des ripostes mécaniques à des attaques localisées.

Bien plus que des recettes simplistes, ils engagent tout l’être (tête, cœur et corps) et requièrent du développement personnel. L’autonomie est un art de vivre et un art martial. Ils sont autrement plus exigeants, et passionnants qu’une méthode. (Les notices suivantes sont sous licence Creative commons BY-SA - Finance for Entrepreneurs.)

La confiance en soi

L’alternance de sentiments d’impuissance et de toute-puissance fait place à une estimation plus ajustée de soi (puissance). Le décideur a le respect de soi, l’auto-fidélité et l’auto-loyauté. Il a la foi en soi et en la vie ET l’acceptation du principe de réalité, l’humilité ET la fierté, la capacité à commencer petit ET l’ambition. Son rapport positif à la solitude permet le recul et le libre-arbitre.

Paprika et Rodin sont des influençables isolés. Ils alternent sur-valorisation et sous-valorisation de leurs compétences et objectifs (excès ou défaut de confiance). Ballotés par une multitude d’avis extérieurs contradictoires, leurs doutes et leurs hésitations annulent une grande partie de leurs actions. Ils découragent leurs collaborateurs (turnover). Heureusement, le travail sur la confiance en soi va tranquilliser leurs actions qui s’inscrivent alors dans une continuité. Leurs décisions sont affinées et mieux alignées avec qui ils sont, où ils désirent réellement aller, et comment. La puissance et l’originalité de leurs sensibilités portent enfin des fruits.

Emma et Gabriel sont des influençables suradaptés. Leur projet est bon et bien géré mais il vivote. À trop regarder comment font les autres, à trop vouloir donner l’impression à leurs collaborateurs qu’ils maîtrisent (théâtre), ils s’autocensurent et se perdent (comportement moutonnier, aversion aux pertes et biais de statu quo). Le travail sur la confiance en soi permet l’expression de plus d’identité de singularité. Ils se mettent à développer leur projet pour le plaisir, pour la joie que procure le sens et pour la liberté que donne le droit à l’erreur. Leurs décisions gagnent en audace et en agilité. Ils assument des séquences de solitude car l’enthousiasme et la sincérité provoquent parfois la raillerie. Un jour, Paprika, Rodin, Emma et Gabriel se rencontrent, se plaisent et décident de s’associer. Depuis, ils se stimulent et s’équilibrent, dans une lucidité joueuse et robuste. Leurs processus de décisions gagnent en finesse et en robustesse.

Plan d’actions individuelles et collectives : assumer ses forces, ses fragilités et ses limites, en parler de façon sensible et nuancée ; informer les gens de ses décisions sans toujours leur demander leur avis (maîtrise du besoin d’approbation), écouter s’ils le donnent, sans plus ; exprimer ses besoins, désirs et convictions et laisser les autres se positionner en retour à leur rythme ; partager les enseignements tirés des erreurs et des épreuves traversées.

L’écoute de ses peurs

Le décideur reconnait, assume et pilote la dimension émotive des décisions, il évite l’imprudence liée au déni de sa peur (tête brulée) ou l’excès de prudence, notamment en cas de réussite (cession trop rapide de l’entreprise par l’entrepreneur par exemple).

Paprika et Rodin (influençables isolés) n’ont pas appris à nommer leurs peurs. Elles sont pourtant omniprésentes chez eux car il leur manque la réassurance d’un groupe. Elles polluent leurs vies bien plus qu’ils le pensent (biais d’inconscience) : elles les agitent au point d’être téméraires ou les paralysent (excès ou défaut de confiance, aversion au risque). Paprika et Rodin subissent le chaos des conseils et se transforment en girouettes. C’est le dernier qui a parlé qui a raison. Heureusement, le travail sur l’écoute de ses peurs les aide à ralentir pour analyser leurs inquiétudes. Ils cessent de se refermer et de s’isoler, ou de parler à tort et à travers à tout le monde, pour se relier à quelques proches de confiance qui nourrissent leur réflexion personnelle. Ils assument leur besoin de parler en vérité. Leurs décisions se tranquillisent et se fiabilisent : ils capitalisent en continuité.

Emma et Gabriel (influençables suradaptés) manquent d’audace en environnement confus. Ils n’arrivent plus à prendre des décisions. Sans repères, ils se laissent influencer par les usages (best practices) et les avis prétendument expérimentés (comportement moutonnier, aversion aux pertes et biais de statu quo). Or l’entrepreneuriat est un retour à la vie sauvage. Emma et Gabriel doivent renoncer à la sécurité du consensus pour se fier à leurs instincts, et trouver des solutions innovantes. Avec l’écoute de leurs peurs, Emma et Gabriel découvrent que liberté et sentiment d’insécurité vont ensemble. Des temps de méditation et de spiritualité transforment l’insécurité subie en incertitude assumée, plus facile à piloter. Paprika, Rodin, Emma et Gabriel partagent avec courage et humilité leurs peurs, cultivant une lucidité informée des risques, pour des décisions audacieuses et prises en conscience.

Plan d’actions individuelles et collectives : éviter le déni de la peur ; éviter de s’isoler ; repérer, analyser et parler de ses inquiétudes, encourager les autres à le faire, expliciter les informations utiles qui en découlent (nos émotions sont chargées d’information) ; surveiller et nommer le concours de virilité dans les équipes très masculines (même pas peur), elle génère l’auto-censure.

Le regard neuf

Le décideur prend le temps du diagnostic et de la consultation. Il se donne le droit à la remise en question de ses décisions et engagements selon les évolutions du contexte. Il a la capacité à rafraîchir et réactualiser ses diagnostics, et à communiquer sans attendre, sereinement. Il fait preuve d’honnêteté intellectuelle et de courage, il a le sens des réalités.

Paprika et Rodin ont un rapport affectif, sans filtre, à l’information. Hyper engagés émotionnellement dans le projet, ils manquent de recul et sont chahutés par les présupposés cachés dans les avis qu’ils reçoivent (effet de cadrage). Inconsciemment, pour se protéger émotionnellement, ils ont tendance à n’écouter et ne lire que les gens qui sont d’accord avec eux (biais de confirmation). Heureusement, ils vont apprendre à poser un regard neuf sur les enjeux. Ils développent une relation plus froide à l’analyse des données, afin de servir aux mieux leurs intérêts. Ils acquièrent une meilleure connaissance des techniques de manipulation de l’information pour éviter de les subir.

Emma et Gabriel ont la gentillesse de croire ce que les experts racontent. Ils respectent les usages et les règles, sans se poser la question de leur désir. Pour réduire leur influençabilité, ils s’efforcent de poser un regard neuf sur les données : un regard actif et responsabilisant. Ils font leur part du travail en interprétant les faits. Avec leurs regards croisés, Paprika, Rodin, Emma et Gabriel couvrent l’ensemble des risques liés au traitement des données. En coopérant dans la lutte contre l’influence abusive, ils créent une oasis de d’objectivité, pour eux et leurs collaborateurs.

Plan d’actions individuelles et collectives : cultiver la curiosité pour les faits, pour le réel ; rechercher la variété des points de vue ; remettre en question ses convictions, se désancrer de ses croyances ; sortir l’information du cadre intentionnel de son émetteur pour la positionner dans son contexte, pour l’analyser à partir de sa position dans l’organisation et de son expérience-métier.

La maîtrise du besoin de gratification

Le décideur prend la responsabilité de sa valeur personnelle (auto-évaluation) pour gérer son besoin de reconnaissance. Il connait suffisamment son rapport au plaisir pour orchestrer les cycles effort-réconfort, et piloter ses frustrations. Il assume et respecte les besoins naturels de son ego.

Les personnalités atypiques de Paprika et Rodin compliquent l’orchestration de la gratification. Leurs besoins complexes trouvent rarement la configuration et les interlocuteurs adéquats pour leur satisfaction. La frustration est omniprésente, sur le mode du tonneau des Danaïdes percé au fond, qui se vide au fur et à mesure qu’on le rempli. Plutôt que de valoriser leur exigence, Paprika et Rodin se remettent trop en question. Ils sont alors timorés (défaut de confiance), et manipulables : ils tendent à se jeter sur tout ce qui peut les rassurer (biais de confirmation). Le travail sur le besoin de confirmation les responsabilise et les aide à gagner en lucidité et donc en autonomie affective et intellectuelle.

Pour Emma et Gabriel, la satisfaction de leurs besoins et envies n’est même pas un sujet. Les bons élèves vivent dans un monde de devoirs et d’obligations. Peu engagés, ils sont aussi peut responsables des ratés, qui du coup sont toujours de la faute des autres (biais d’irresponsabilité). Ils tendent à se victimiser en cas de problème (là où Paprika et Rodin sont juste terrifiés à l’idée d’avoir commis une boulette). Dans le fond, nos deux influençables suradaptés sont incapables de mettre leur centre de gravité en eux : ils le placent dans le regard des autres et dans la reconnaissance que donne au compte-gouttes le système. Le travail sur le besoin de gratification les réveille sur leurs désirs profonds. Paprika, Rodin, Emma et Gabriel créent un système de gratifications légitimes (bienveillance sans complaisance) donnant plus d’autonomie à leur équipe de direction.

Plan d’actions individuelles et collectives : assumer son style de besoins de gratification, négocier avec soi-même et les autres leur satisfaction ; équilibrer effort et réconfort dans le temps, et aussi dans la journée ; cultiver la capacité à différer la gratification de court terme en faveur d’une gratification de moyen terme créatrice de plus de satisfaction et de plus de valeur ; éviter une culture du dépassement de soi centrée sur la souffrance et la frustration, car le besoin de gratification devient alors intempestif et incontrôlable.

Le rapport actif au temps

Le décideur est créateur de son temps et non victime du temps. Il respecte et se soumet à la linéarité du temps. Il s’autorise à accélérer quand tous disent de ralentir, et de ralentir que tous disent d’accélérer.

Paprika et Rodin sont de grands impatients. Leur rébellion contre Chronos est risquée : nul ne peut défier longtemps le dieu du temps (excès de confiance). On ne peut faire bien qu’une chose à la fois. L’extraordinaire richesse personnelle de nos deux atypiques rend le choix cornélien. La tentation est grande de se raconter des histoires et de croire ceux qui en racontent (biais de confirmation). Le rapport actif au temps va leur rendre l’obéissance à Chronos acceptable et utile. Paprika et Rodin gagnent en réalisme et en tranquillité intérieure. Il se sous-exposent à l’influence. L’autonomie est une discipline, selon Adolphe Ferrière.

M. et Mme Parfait, Emma et Gabriel, c’est tout l’inverse. Ce n’est pas cette rébellion contre le temps qui les exposent à l’influence, mais l’envie de bien faire, qui les rendent corvéables à merci, jusqu’à l’erreur fatale, le défaut de jugement. L’entrepreneur est au cœur de tous les réseaux d’influence : clients, salariés, actionnaires, conjoints, potes, médias, etc. Heureusement, Paprika et Rodin injectent un peu de folie et de liberté dans le projet. Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ensemble, ils l’ont fait (Mark Twain).

Plan d’action individuelles et collectives : être au clair avec ses objectifs et les atteindre dès que possible ; prendre le temps d’ajuster finement et souplement son temps (chrono-flexibilité), consacrer du temps aux arbitrages d’agenda, être créateur de son temps et non victime du temps ; planifier des trous dans son planning pour faire face aux imprévus ou souffler ; se souvenir que les urgences sont souvent causées par la désorganisation des autres, éviter de subir ; orchestrer les différences de tempos au sein de l’équipe et avec les parties prenantes ; se donner le droit à l’erreur et le temps long de l’apprentissage par l’expérience (design thinking) ; déléguer à des personnes compétentes, crédibles et fiables dans leurs domaines, accepter de perdre du temps aujourd’hui pour en gagner demain en accompagnant ses collaborateurs : fiches de poste, objectifs et suivi, réunions d’équipe, écoute, médiation, etc. donc éviter de balancer les responsabilités puis de relever les compteurs ; méditer, se ressourcer, prendre le temps de lire les " signes " (anticipation et intuition).

Le rapport actif à l’argent et à l’abondance

Le décideur a un intérêt, une compréhension et un respect suffisants pour l’argent, pour la création et le partage de richesses matérielles et immatérielles.

Paprika et Rodin sont donc hors-système et passionnés. Ils prennent peu au sérieux l’argent, qui n’est qu’un moyen, disent-ils à la cantonade. Ils n’ont donc pas capitalisé suffisamment d’expérience et d’intelligence du sujet. Cette lacune les surexpose aux mauvaises influences. Ils risquent d’avoir un rapport trop conservateur aux dépenses et investissements (aversion aux pertes, biais de statu quo), ou au contraire inconsidéré (excès de confiance). Ils n’ont pas appris à contextualiser les informations financières (effet de cadrage). Un rapport plus actif à l’argent va leur permettre de sanctuariser les arbitrages financiers pour gagner en objectivité, et accéder aux vrais besoins du projet.

Emma et Gabriel respectent trop le consensus, les usages et les bonnes pratiques (défaut de confiance). Connaissance et écoute de soi vont leur donner accès à leur instinct. Le " gut feeling " donne le courage de prendre des risques mesurés. Peu de sujets bénéficient autant du dialogue et de la variété des points de vue que l’argent, même si le dirigeant, désigné au sein des quatre associés, doit parfois trancher. 

Plan d’actions individuelles et collectives : consulter ses indicateurs financiers régulièrement, faire un point sans attendre si on se surprend à s’en préoccuper ; respecter et déchiffrer ses inquiétudes et malaises instinctifs ; développer une culture financière ; inclure les actifs intangibles dans sa comptabilité et ses transactions (capital-clients, capital-fournisseurs, capital-humain, etc.) ; recadrer et normaliser ses joies et ses peines avec l’argent ; observer et piloter les différences de rapports à l'argent ; assumer ses limites dans le domaine financier, trouver les compétences manquantes autour de soi ; considérer son marché comme son jardin, cultiver les parcelles, les relations, qui semblent prometteuses, dire oui à toutes les propositions sérieuses, choisir l’abondance ; donner des objectifs commerciaux quantitatifs et qualitatifs à chacun, adaptés au métier (tous bizdev) ; surveiller le rapport contrarié au succès et à la richesse chez soi lié au syndrome de l’imposteur, à la culpabilité du survivant, à la peur d’être submergé d’activités ou à l’idéologie politique.

Le rapport actif au jeu

Le décideur partage et protège la dimension ludique de l’entrepreneuriat. Il est gardien du fair-play (élégance et respect), et cultive le plaisir partagé.

De toute évidence, Paprika et Rodin s’amusent énormément, entre deux coups de stress majeur. Ils en oublient parfois la rigueur de la réflexion, et le bon sens (biais de confirmation et biais d’inconscience). Ils ont du mal à fidéliser des talents car leur originalité déroute, embarrasse, voire inquiète : elle peut provoquer de la suspicion chez des interlocuteurs conventionnels et normatifs. Leur enthousiasme les prive parfois du minimum d’objectivité nécessaire dans leurs processus de décision. Un travail sur les règles du jeu dans le projet peut sécuriser l’enthousiasme collectif, et les aider à associer discipline et fantaisie.

Emma et Gabriel, eux, ont tendance à dramatiser les erreurs. Ils peuvent donc être trop conservateurs (aversion aux pertes, biais de statu quo). Ils oublient la pensée design : expérimenter, apprendre, ré-expérimenter. Autant dire que les rapports au jeu de Paprika, Rodin, Emma et Gabriel s’équilibrent, tant que les conditions du dialogue, et du plaisir partagé, sont maintenues. Leurs processus de décision s’affinent alors, et ils gagnent en légèreté.

Plan d’actions individuelles et collectives : protéger la joie et le goût du travail bien fait, indépendamment de l’enrichissement, du prestige et du pouvoir ; partager vitalité, enthousiasme et mouvements du cœur ; revenir souvent à des points de vue libres, spontanés et pleins de bon sens (esprit d’enfance) ; entretenir l’appétit pour la prise de décisions dédramatisée, posée et soignée (comme aux échecs) ; nourrir un rapport affectif et enchanté à l’entrepreneuriat, et non forcé, cynique ou avide ; rester souple dans l’application et l’évolution des règles du jeu, au-delà d’une approche rigide très liée à un contexte parfois périmé ; s’autoriser à tester des décisions, à lancer plusieurs prototypes d’organisation, produits, services, gouvernance, etc. en même temps ; oser aller au contact relationnel et opérationnel (comme au rugby), écouter son instinct, savourer sa force, aller au-devant de moments de mises au point relationnelles désagréables mais utiles ; être beau perdant, cultiver l’humour tendre, l’objectif dans l’entrepreneuriat, c’est d’apprendre.

L’atypicité

Le décideur valorise ce qu’il a d’atypique, d’original et de singulier. Dans son monde, des forces et des fragilités uniques sont autorisées, sans nécessité d’être exceptionnelles. Il partage son épaisseur de vie et sa maturité humaine, sachant que la valeur n’attend pas le nombre des années.

Paprika et Rodin sont habitués à mener leurs vies plutôt seuls. L’intelligence collective n’est pas naturelle chez eux, générant un manque de modération et de constance (excès ou défaut de confiance). Le groupe humain est perçu comme excluant, alors qu’il peut être aussi rassurant, protecteur et de bon conseil. Ils se privent de sources précieuses d’information et de feedback (biais d’inconscience). Grâce à une lecture positive de leur marginalité, ils valorisent leurs singularités, prennent confiance et, paradoxalement, ouvrent leur écoute et gagnent en capacité collaborative.

Pour rester super intégrés, pour rester in, Emma et Gabriel ont tendance à suivre le consensus. Ils ignorent beaucoup de leurs désirs et forces-fragilités personnels (biais d’inconscience). Pourraient-ils suivre le troupeau jusque dans les précipices de modes managériales ou de fiascos sectoriels (excès de confiance), et alors se prétexter du consensus (biais d’irresponsabilité) ? Heureusement, la diversité d’équipe assumée et le respect des différences les protègent. Deviens toi-même, les autres sont déjà pris (Oscar Wilde). Ensemble, Paprika, Rodin, Emma et Gabriel cultivent la joie des enseignements tirés des épreuves traversées. Ils tiennent des décisions atypiques sans en faire un enjeu d’ego (entêtement). Ils pilotent la solitude générée par l’expérimentation hors des sentiers bien balisés (autodidaxie). Ensemble, ils se créent, sans le savoir, des accès à des sources d’informations originales et transversales, rares et uniques, et ils s’autorisent des convictions. La connaissance de soi leur permet d’utiliser et de valoriser sa subjectivité comme domaine d’expertises favorables à l’objectivité. Longtemps dévalorisé par le système scolaire, je deviens un expert de la valorisation des talents singuliers, par exemple.

Plan d’actions individuelles et collectives : cultiver la connaissance de soi, l’auto-fidélité et l’auto-loyauté ; assumer d’être unique (sans nécessite de se penser exceptionnel) ; se faire aider pour expliciter ses valeurs personnelles enracinées (rarement celles auxquelles on pense) et les comportements qui en découlent ; valoriser ses différences et assumer les moments de solitude qui en découlent ; reconnaitre que nos talents les plus spectaculaires sont générés par les épreuves traversées, les expliciter et les valoriser ; construire et partager une mythologie personnelle, un récit de vie valorisant et convergeant avec le projet, y trouver de l’auto-loyauté et un self-marketing authentique ; trouver des personnes de confiance inspirantes et de bon conseil pour travailler tout ça (mentors), afin d’apprendre à être atypiques ensemble.

L’esprit coopératif

Le décideur cultive et valorise la diversité et la complémentarité des points de vue dans l’équipe. Notamment parce qu’il reconnait ses limites. L’équipier est engagé dans un tissu social modérateur, susceptible de lui lancer des alertes et de le soutenir dans l’épreuve.

Paprika et Rodin, comme influençables isolés, ont tendance à sous-exploiter les ressources de la coopération dans leurs processus de décision, se surexposant ainsi à l’ensemble des biais cognitifs. Emma et Gabriel sont certes, très intégrés, mais sur la base d’un certain conformisme. La diversité d’équipe est laminée par les ambiances trop exclusives (clubs), normatives, compétitives, voire sarcastiques. Heureusement, Paprika, Rodin, Emma et Gabriel ont compris qu’ensemble, moyennant une bonne dose de tolérance et d’intelligence humaine, ils sont plus forts.

Plan d’actions individuelles et collectives : s’autoriser à demander de l’aide dans l’épreuve (humilité) ; en réunion, laisser parler les plus réservés en premier, libérer ainsi la parole de tous, cultiver l’écoute, autoriser et protéger le temps du brainstorming ; éviter le faux travail collaboratif, la consultation simulée quand la décision est déjà prise ; poser un regard positif sur soi et sur les autres, sans être dans le déni des limites, fragilités et risques (optimisme conscient) ; pratiquer la bienveillance sans complaisance, la capacité à se dire les choses sans attendre et sans tortiller ; préférer l’humour tendre à l’autodérision, bannir l’ironie et le sarcasme, destructeurs de la liberté de parole et de l’émulation collective ; pratiquer la générosité consciente, repérer et piloter les preneurs qui ne donnent rien (avidité) ; valoriser les transactions gagnant-gagnant ; se souvenir que le naïf est optimiste car il ne sait rien, le sage malgré tout ce qu’il sait.

L’introspection entrepreneuriale (force majeure)

Le décideur a la remise en question personnelle et la soif d’apprendre, en bref, la quête d’excellence. Il s’engage dans un processus courageux de transformation personnelle.

Paprika et Rodin pratiquent depuis toujours l’auto-analyse, peut-être trop. Insuffisamment accompagnés, ils doutent de tout sans discernement (défaut de confiance) et en deviennent parfois de vraies girouettes (effet de cadrage). De l’accompagnement personnalisé peut leur permettre de structurer l’introspection, et de bénéficier de feedbacks afin de mieux se connaître. Leurs processus de décision gagnent en auto-fidélité, en fiabilité et en lisibilité.

Emma et Gabriel se réfèrent à l’intelligence d’une analyse d’expert, et à la sagesse du consensus pour prendre leurs décisions (comportement moutonnier). Problème, ce qui marche à l’école peut provoquer l’échec dans la vie sauvage, dans l’entrepreneuriat. D’autant plus que l’intelligence sans le renfort de l’instinct et de l’intuition peut virer à l’exercice de style, à la quête de beauté pure de la perfection managériale (excès de confiance). Sans le grain de folie créatrice, la raison peut même devenir stérile. Le risque est alors d’avoir intellectuellement raison, mais commercialement tort. Heureusement, Emma et Gabriel ont choisi l’entrepreneuriat. Et là, comme rien ne marche comme prévu, ils consultent un coach. C’est ça aussi l’esprit coopératif : savoir demander de l’aide, associer des compétences variées au projet. Ensemble, Paprika, Rodin, Emma et Gabriel forment et assument des convictions. Sans même s’en rendre compte, ils sont devenus influenceurs.

Plan d’actions individuelles et collectives : chercher sa part de responsabilité dans les ratés, en osant en parler et en recherchant les feedbacks, et veiller à ce que les autres prennent leur part, sans pression ; observer l'origine de ses émotions (joie, tristesse, peur, dégoût, colère, honte et surprise), de ses inconforts corporels (oppressions et malaises), et expliciter l’information liée, en interagissant en conséquence ; tirer des enseignements des épreuves traversées et des rencontres-clés : analyser, modéliser et partager ; assumer ses forces et ses fragilités en plaçant au centre sa soif d’apprendre et d’évoluer ; de donner le droit à l’erreur, tester immédiatement ses prises de conscience, faire évoluer son mode de fonctionnement et sa vision ; s’autoriser des temps libres méditatifs, ainsi que des moments d’auto-analyse et de travail sur soi, notamment avec des personnes de confiance (mentors).

Mise en œuvre : format d’atelier d’équipe autogéré

Voici un exemple de workshop. Chacun hiérarchise en silence les 10 compétences en les numérotant de 1 à 10 : n°1 = la plus facile pour moi, n°10 = celle qui me coûte le plus d’effort. Pour faciliter, commencez par repérer les trois du haut et les trois du bas, puis affinez. Ensuite faîtes un tour de cercle chronométré (pas de table entre vous quand vous partagez votre sensibilité). Le premier qui commence nomme sa compétence 1 et explique pourquoi il la positionne là aujourd’hui, les autres suivent en disant où ils l’ont positionnée eux, et pourquoi (1 à 3 minutes chacun). Ensuite, le premier nomme sa compétence en 2 et explique, les autres suivent, etc. jusqu’à la 10.

Avec des post-it, prenez un temps rédaction en silence, puis faites une cartographie d’équipe sur un mur avec les forces de chacun (compétences positionnées 1 et 2) et des fragilités de chacun (9 et 10). Une compétence par post-it. Brainstormez, repérez les tendances dans l’équipe. Déduisez un plan d’actions individuelles et collectives. Faîtes une réunion de suivi une fois par mois.

L’influençabilité, psychopathologie de l’ère digitale ou opportunité ?

Les réseaux sociaux voulaient rapprocher les peuples par l’innovation et la gratuité. Ils dérivent aujourd’hui dans l’exploitation massive du mimétisme et du conformisme. Le défi de notre civilisation post-moderne devient, de facto, le développement toujours plus grand de l’autonomie émotionnelle et intellectuelle. En France, la résistance s’active. Elle veut tout, et s’exprime plus librement dans l’artisanat et l’entrepreneuriat, comme lieux d’accomplissement de soi, d’impact humain et environnemental.

Matthieu Langeard est coach d'entrepreneurs au sein d'Entreprance Institut