Tribunes par Lucas Mesquita
28 juin 2022
28 juin 2022
Temps de lecture : 12 minutes
12 min
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Enquête : les chiffres clés des BSPCE au sein de la FrenchTech

Caption.market est une plateforme d'investissement, permettant à tout investisseur (particuliers, business angels etc.) de rejoindre le capital des plus belles entreprises innovantes françaises. Via la place de marché éponyme, il est alors possible de racheter des actions d’investisseurs historiques ou de collaborateurs ayant activé leurs BSPCE. Lucas Mesquita, co-fondateur de Caption revient sur ce phénomène, à travers une étude menée auprès de 419 personnes en juin 2022, en partenariat avec Maddyness. L’occasion de comprendre les besoins des collaborateurs et les enjeux des équipes fondatrices sur ce sujet clé de fidélisation.
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Incompréhension, désintérêt, opacité, injustice, amertume… Voilà des mois que ces mots résonnent dans la bouche de plusieurs centaines de salarié.es avec lesquels nous avons pu échanger chez Caption. 

Cette minorité ne constitue que la face émergée de l’iceberg. Derrière, la majorité silencieuse s'exprime dans l’ombre. Les communautés Slack, les groupes Whatsapp, et les discussions autour des machines à café vont bon train. 

C’est un fait, d’un côté, les BSPCE sont de plus en plus populaires dans l’écosystème. Ce qui est une excellente chose. Mais ils questionnent et, le plus souvent, semblent décevoir (Le Monde).

Cet outil d’intéressement salarié, censé aligner les intérêts entre tous au sein des sociétés, et largement plébiscité par nos politiques (Les Echos), n’exprime pas son plein potentiel. 

Pourtant, malgré un contexte anxiogène sur les marchés tech mondiaux en 2022, les valorisations des startups continuent leur marche en avant, certes avec moins d’élan, et les salarié.es en sont les principaux artisans. 

Pire, la période actuelle voit des ajustements d’effectifs pour assainir des organisations ayant souvent confondu vitesse et précipitation. La “Grande Démission” a entamé son œuvre aux Etats-Unis (où 4,3 millions de personnes ont quitté leur emploi en janvier 2022), et pointe le bout de son nez en France qui enregistre une croissance record et des taux de démissions à des niveaux encore jamais enregistrés. Aucun parachute doré ne sera déployé, et c’est bien normal. Mais ces salarié.es pourront-ils profiter du fruit de leur travail entrepris depuis des mois ou des années ? Les forces vives restantes verront-elles leur intéressement se concrétiser ? Le gâteau sera-t-il enfin équitablement découpé ? Comment sortir vainqueur de la guerre des talents qui s’intensifie de mois en mois ?

Laisser s’exprimer les principaux concernés

C’est dans ce contexte que Caption, artisan assumé d’une meilleure répartition de la valeur au sein des startups, a lancé la plus grande étude jamais réalisée sur la perception des BSPCE par les salarié.es dans la French Tech. L’échantillon de participants est composé de 419 répondants, permettant d’afficher une marge d’erreur négligeable de 5%

Ces derniers ont pu répondre à notre sondage et s’exprimer de manière anonyme, honnête, et décomplexée.

Car oui, les échanges autour des BSPCE dans les startups, avec les fondateurs comme les avocats ou les fonds d’investissement, sont parfois teintés d’une dramaturgie moralisatrice (chez Caption, nous recevons de nombreux témoignages à ce sujet), qui rappelle une histoire connue, celle de l’âne et de la carotte, où la récompense est inatteignable malgré des kilomètres de dur labeur.

Dès lors, cette enquête se positionne comme une tribune libre offrant la possibilité à tout à chacun de faire entendre sa voix sans pression diverse ni enjeu interne. Treize questions leur ont été soumises, nécessitant environ trois minutes de réflexion, afin de mesurer leur attrait, leur discernement, et leur affection pour cet outil censé leur donner accès à un patrimoine à la hauteur de leur engagement.

Pour collecter un nombre suffisant de réponses afin de réduire la marge d’erreur inhérente à tout sondage, et surtout pour éviter toute contestation des résultats qui pourrait constituer la tentation de certains, nous avons adressé notre base utilisateurs et utilisatrices en parallèle d’un appel public relayé sur les réseaux sociaux et par certains médias comme Maddyness.

Des résultats sans appel

Rentrons désormais dans le vif du sujet.

88,3% des salariés connaissent la signification du sigle BSPCE. Le but de cette question n’était pas de les ramener sur le banc de l’école mais plutôt de savoir si ce terme quelque peu barbare était clair pour eux. En effet, son équivalent anglophone - “stock option” - peut être mieux compris à première vue. Il semblerait en tous cas qu’une grande majorité des répondants connaisse les Bons de Souscription de Parts de Créateur d'Entreprise, et c’est une excellente nouvelle !

62,3% des interrogés estiment avoir une bonne connaissance des mécanismes intrinsèques aux BSPCE (attribution, vesting, prix d’exercice, etc.). Le chemin est encore long pour afficher une compréhension unanime de l’outil, mais ce chiffre reste encourageant. Il faut dire que depuis plusieurs mois, plusieurs startups reconnues ont communiqué sur les BSPCE et leur façon d’éduquer les salariés. C’est le cas de Matera par exemple qui a sorti son simulateur en libre accès, ou encore Alan qui partage régulièrement des ressources sur son blog. Plus de travail de pédagogie dans les startups, et surtout une matérialité plus grande (nous y reviendrons ultérieurement), devraient tirer cette statistique à la hausse.

Cette connaissance relative entraîne très certainement un manque de confiance lorsqu’il s’agit de négocier son package de BSPCE lors d’une prise de poste. Seulement 36,3% négocient leur package de BSPCE alors que l'intéressement au capital devient une des principales sources de motivation pour les répondants : sur une échelle de 1 à 10, 70% d’entre eux placent ce degré de motivation à 8/10 ou plus.

46,5% des répondants affirment ne pas lire la documentation juridique attachée à leurs BSPCE. Et pour cause, que ce soit lors d’une prise de poste, ou dans toutes les opérations sur le capital, les salariés sont les seules forces capitalistiques à ne pas être représentés par un conseil lors des négociations. Les fonds d’investissement disposent de leurs propres conseils, les avocats de la société se transforment souvent en avocats des fondateurs, et les business angels suivent. Résultat, les titulaires de BSPCE se voient généralement transmettre les longs et pénibles documents juridiques (notamment le pacte d’actionnaires) quelques jours, voire quelques heures, avant la finalisation de l’opération. Il leur est alors demandé de signer dans l’urgence pour ne pas remettre en cause ladite levée de fonds. Signerait-il un contrat de prêt ou un compromis de vente immobilière dans l’urgence, sans avoir pris le temps de lire les contrats, et sans conseil pour les éclairer ? Ces situations sont également issues des témoignages que nous avons recueillis.

Ensuite, deux statistiques extrêmement parlantes viennent battre en brèche une sorte de fantasme du talent qui reste jusqu’à la vente ou l’introduction en Bourse de sa startup. Effectivement, les temps changent, et les générations aussi. Ainsi, 81% des salariés estiment qu’ils resteront moins de 5 ans dans leur société. C’est énorme ! Le corollaire est d’autant plus intéressant à analyser puisque 78,50% des sondés déclarent vouloir que leurs BSPCE se transforment en argent réel avant 5 ans (dont près de 50% entre 3 et 5 ans). Aujourd’hui, bon nombre de conseils pensent les plans de BSPCE pour retenir les talents jusqu’à une exit potentielle, avec peu ou pas de liquidité intermédiaire par peur de perdre les salariés qui auraient vu leurs vies un peu trop “changées” par cette source de revenus parfois conséquente. Mais cette époque est révolue et il devient stratégique de répondre aux attentes de cette nouvelle génération de talents qui ne croit que ce qu’elle voit. 

A ce jour, 70,2% des sondés n’ont toujours pas exercé leur BSPCE, le plus souvent par manque de visibilité sur la revente potentielle de leurs actions. Bon nombre d’entrepreneurs leaders de la French Tech ont pris ce sujet à bras-le-corps pour favoriser la liquidité, telles que October, BlaBlaCar ou Ledger. Depuis des années, BlaBlaCar permet par exemple la revente de ses actions sur des plateformes secondaires telles que Caption. Ledger, de son côté, a décidé cette année d’ouvrir deux fenêtres annuelles pendant lesquelles les salariés peuvent revendre une partie de leurs actions à des investisseurs particuliers. Le management de Ledger précisait il y a quelques semaines à ce propos : “Rendre l’equity réel pour nos salariés est primordial. Cela nous donne notamment la possibilité de nous différencier pour attirer les meilleurs talents.” (Agefi)

Pour finir ce tour d’horizon, abordons deux épineuses questions sur l'éthique entourant les plans d’intéressement. Notons que 67% des interrogés jugent que l’actionnariat salarié n’est pas géré de manière juste et transparente au sein de leur startup. Cela semble faire écho à l’enquête du Monde publiée en janvier 2021, qui dénonçait les pratiques de plusieurs startups reconnues.

Et pour finir, force est de constater que 68% des salariés refuseraient catégoriquement de rejoindre une startup qui intègre des clauses empêchant la revente potentielle de leurs actions (agrément, incessibilité, etc.). Ces clauses existent depuis des années mais prolifèrent depuis un an maintenant en France. Nous ne savons pas s’il faut en être fiers, mais plusieurs cabinets d’avocats influents de la place les nomment les “clauses anti-Caption” et n’hésitent pas à former leurs clients sur comment les intégrer pour bloquer la liquidité de leurs salariés, sous prétexte qu’ils seraient susceptibles d’accepter tout et n’importe quoi. Ce résultat nous prouve le contraire.

Et maintenant ?

A l’orée de ces résultats, plusieurs conclusions viennent à l’esprit.

La première est une félicitation. Tout d’abord à tous les entrepreneurs qui se battent pour faire croître leur société et qui partagent cette réussite avec tous ceux qui contribuent à ce succès. Chez Caption, on voit passer tous les jours de belles histoires, des salariés qui ont pu bénéficier du succès de leur société pour réaliser des projets personnels, des reconversions, des changements de vie. L’écosystème tech peut être un merveilleux ascenseur social avec des outils comme les BSPCE. Ces derniers ont été nativement bien pensés par le législateur qui avait décidé de l’inscrire dans le Code Général des Impôts. Les améliorations apportées dans le cadre de la loi de finance 2020, avec notamment la possibilité d’émettre les BSPCE à un prix d’exercice inférieur au prix de la dernière augmentation de capital, continuent de rendre ce régime attractif. Le cadre légal n’est pas à modifier, c’est plutôt la manière d’en faire usage au sein de startups qui est à améliorer pour promouvoir attractivité et rétention.

La seconde est un principe de réalité. Non, les BSPCE ne sont pas des menottes dorées qui retiennent les talents jusqu’à la cession de la société. Et ce n’est même pas souhaitable tant une startup a plusieurs vies, nécessitant une consommatrice d’énergie importante pour les équipes, et une diversification des profils. Cette image du contrat moral, à la vie à la mort, est un serment qui n’a plus sa place dans la société actuelle où le moyen terme est une hérésie pour les jeunes générations. Peut-être faudrait-il repenser la façon d’attribuer des BSPCE ? Donner moins mais plus vite. Distribuer un peu chaque année plutôt que tout d’un coup. Ce sont des pistes qui commencent d’ailleurs à être implémentées dans plusieurs startups qui voient l’intéressement comme un multiplicateur de salaire concret et significatif.

La troisième est un vœu. Il est marquant de voir que la plupart des salariés nous contactant cherchent avant tout des réponses et clarifications sur leur package. Si plusieurs startups passent de plus en plus de temps à éduquer leurs employés sur ces sujets, il manque très souvent un interlocuteur référent en interne, qui saurait faire le lien avec les fondateurs pour communiquer leurs revendications. On peut donc se poser la question si finalement, les actionnaires-salariés ne devraient pas, eux aussi, bénéficier d’une représentativité dans les négociations et la gouvernance des startups à hauteur de leur détention capitalistique. Quels actionnaires, représentant 5 à 15% du capital d'une startup, accepteraient de ne pas être représenté.es ou disposer d'une place au sein des organes de gouvernance de la société ? Nous tirons souvent à boulets rouges sur les grandes entreprises mais la loi PACTE a renforcé l’obligation de présence de salariés au sein des conseils d'administration.

La quatrième est une nécessité. Celle de récompenser les talents tout au long de leur engagement à vos côtés. Les promesses c’est bien, les actes c’est forcément mieux. La liquidité est le parent pauvre des BSPCE, et de manière générale des stock-options de sociétés non cotées. Pourtant, elle est le seul juge de paix pour un talent souhaitant être recruté ou se posant la question de quitter votre entreprise. Car aujourd’hui, de par leur intangibilité, les BSPCE ne constituent, et ne constitueront jamais, un outil de rétention efficace. Pour preuve, il y a peu de chances qu’un talent de chez Amazon, Google, Meta ou encore Tesla soit prêt à rejoindre une startup proposant des BSPCE, en renonçant à son package de stock options vendables librement sur les marchés.

La cinquième et dernière est une marque d’optimisme. Il y a encore quelques années, personne ne connaissait réellement les outils d’intéressements en France, alors qu’ils étaient déjà monnaie courante outre-Atlantique. En 2022, on peut le dire, le BSPCE fait partie des éléments de rémunération les plus en vogue dans l’écosystème, et cela n’est pas près de s’arrêter. Sa démocratisation a permis aux salariés de s’emparer du sujet pour mieux comprendre comment il fonctionnait, et surtout, comment il pouvait leur changer la vie. On vit aujourd’hui dans une époque où il est possible de rejoindre une startup, et quelques années plus tard, gagner assez d’argent pour financer les projets rêvés, personnels comme professionnels. Alors que les exits sont encore rares ou lointains, tout cela est possible grâce au concours de ces entrepreneurs pionniers qui ont compris qu’il ne fallait pas bloquer la liquidité, quel que soit le stade de maturité de leur société.

Chez Caption, nous travaillons au quotidien avec eux pour bâtir des partenariats durables et structurants. Pour construire les champions de demain, il nous faudra être compétitifs à tous les niveaux. Cela passera inévitablement par une meilleure redistribution de la richesse créée par tous les talents et l'émergence de licornes à forte valeur partagée.

Lucas Mesquita est le co-fondateur de Caption.Market