Si Jérôme Monceaux était l’un des cofondateurs d’Aldebaran en 2005, il reste très critique de ce qu’il a pu accomplir dans cette entreprise, alors même qu’il y est resté 10 ans : " J’ai notamment porté le développement des robots Pepper et Nao, explique-t-il à Maddyness. Mais j’ai toujours été concerné par l’usage réel du robot. Je veux avoir un impact sur le monde, je veux aider les gens autant que possible avec mes créations… mais je voyais bien les limitations que l’on pouvait avoir avec Nao et Pepper.".

Sans minimiser la contribution de ces deux robots dans le monde de la robotique, il ajoute : "qu’ils ont joué un bon rôle, et peut-être qu’on ne pouvait pas en attendre beaucoup plus à l’époque.". Mais passé l’effet de surprise de la rencontre, ces robots ne s’inscrivaient pas dans une récurrence d’usage ou d’intérêt.

Jérôme Monceaux retiendra la leçon au moment de la création de sa nouvelle startup qui se retrouve d’ailleurs directement dans son nom : Enchanted Tools, un outil avec une utilité pragmatique, mais aussi une dimension merveilleuse, enchantée, qui provoque l’envie d’interagir à nouveau avec celui-ci.

Cette deuxième aventure dans l’univers de la robotique n’arrive pourtant pas immédiatement après son départ d’Aldebaran en novembre 2015 (soit trois ans après le rachat par le japonais Softbank).
Le mois suivant, en décembre 2015, il lance la startup Spoon qui crée des personnages interactifs avec lesquels les consommateurs vont pouvoir interagir dans les commerces, hôtels, etc. " Je ne voulais pas me mettre en concurrence immédiate avec Aldebaran en me relançant rapidement dans l’univers de la robotique, explique Jérôme Monceaux. Et j’avais besoin d’apprendre des choses… notamment comment créer une apparence de vie chez ces altérités synthétiques.".

Pendant les six années qui vont suivre, l’entrepreneur va ainsi explorer les phénomènes psychologiques qui vont façonner le sentiment d’avoir un personnage qui existe face à soi, une illusion de la vie. Pendant cette période, il découvre aussi l’importance du storytelling qui sera si cruciale dans sa vision d’Enchanted Tools.

À la découverte des Mikokai

En parallèle de Spoon dont l’activité se poursuit encore, Jérôme Monceaux a lancé Enchanted Tools en juin 2021. Le robot n’est pourtant pas la seule création de la startup puisqu’il s’agit avant tout d’un personnage. En effet, le premier travail d’Enchanted Tools aura été de rassembler des character designers, des dessinateurs, des scénaristes, pour venir inscrire la création de ce robot dans une histoire : celle du peuple Mirokai, originaire d’une autre planète et dont un représentant (nommé Miroki) va venir sur terre sous la forme des robots vendus par la startup française.

Enchanted Tools a d’ailleurs développé un film avec Gaumont pour installer l’univers des Mirokai. " Le personnage devait arriver avec une charge culturelle, explicite Jérôme Monceaux. C’est-à-dire un univers qui est à lui, des croyances, des objectifs, une mission ".

Un projet ambitieux

Le robot Pepper a coûté plus de 100 millions d’euros de développement alors que l’entreprise qui le portait était déjà bien installée. Fort de cette connaissance, le CEO d’Enchanted Tools a défini ses besoins en financement en fonction. " On cherche à lever 150 millions d’euros, lâche Jérôme Monceaux sans sourciller. Parce que je pense que c’est ce qu’il nous faut pour développer un robot qui soit efficace et qui ne soit pas bullshit.". Sur ces 150 millions, Enchanted Tools en a déjà levé 17 en se donnant l’objectif de développer un prototype de robot humanoïde en 12 mois.

Ce délai s’est écoulé en novembre 2022, date à laquelle Jérôme Monceaux s’est affiché pour la première fois à côté de Miroki, un robot monté sur une boule mesurant un mètre vingt-trois pour 28 kilogrammes, quatre caméras, quatre micros, des capteurs à ultrasons, etc.

La startup a aujourd’hui trois prototypes

" On va bientôt en avoir dix, l’année prochaine on en aura des dizaines, l’année d’après des centaines… avec pour objectif la production de cent mille robots en dix ans. ". Mais pour pouvoir déployer cette vision ambitieuse, Enchanted Tools doit maintenant lever le reste des 150 millions d’euros nécessaires. Pour ce faire, Jérôme Monceaux part au bras de Miroki pour sillonner les routes de Paris à Londres, Las Vegas, Austin, Tokyo, Séoul, Zurich, Berlin et Milan pour évangéliser le modèle.
" On veut faire briller les yeux des enfants, explique-t-il. Leur montrer que l’on n’est pas obligé de faire des trucs chiants en robotique. Que l’on peut réenchanter un futur à construire ensemble. ".

Mais, cette fois-ci, l’ingénieur n’oubliera pas que l’effet “waow” n’est pas suffisant… il y a besoin d’une utilité. " Pour Nao ou Pepper, on a passé des années à chercher la “killer app”, la fonctionnalité qui allait tout changer. Pour Miroki, on sait déjà que son utilité se situe dans le déplacement automatique d’objets. ".

Ce sympathique robot est donc déjà en train de trouver sa place en milieu hospitalier, où il a été calculé qu’il y avait cent mille déplacements d’objets par semaine (dans un petit hôpital de 200 lits). Miroki est ainsi en mesure d’en réaliser une partie en attrapant des plateaux et de les ramener au personnel soignant.

Bruno Maisonnier, cofondateur et ancien CEO d’Aldebaran, avait l’habitude de dire à Jérôme Monceaux qu’il était fait pour le B2C. Si un robot Miroki, au prix de 30.000 euros, n’est considéré comme un objet grand public, Jérôme a trouvé le moyen de faire payer les organismes professionnels pour mettre son objet à disposition du grand public. " C’est un pari, reconnaît-il. Mais je crois que c’est le bon. C’est celui que j’ai envie de suivre. ".